La gestion du risque chirurgical et l’accréditation, c’est quoi ?

Auteurs : Dr P.Y. BLANCHARD - Dr X. POUYAT

On y pense pas assez. Le risque chirurgical existe et il y a des moyens pour le minimiser.

Parution LS 67 - Septembre 2015

 

La gestion du risque chirurgical et l’accréditation, c’est quoi ?

  1. La gestion du risque c’est aussi éviter ce genre de problèmes :

Une patiente obèse, atteinte d’hypertension artérielle et de sclérodermie, sous antivitamines K est hospitalisée en hospitalisation normale pour édentation subtotale avec extraction de 8 dents, sources d’infections à répétition. L’intervention se passe sans problème particulier. Le praticien fait sa visite le lendemain et autorise la sortie. Suit la visite du médecin anesthésiste qui décide d’arrêter les antivitamines K et de passer aux HBPM sans en informer le chirurgien. Enfin l’infirmière passe en dernier ressort et remet à la patiente une ordonnance type prescrivant métrodinazole/ spiramycine, paracétamol, bains de bouche et acide niflumique durant une semaine. A J3 la patiente est réhospitalisée pour hémorragie digestive haute aux urgences. Une fibroscopie gastrique est pratiquée et durant cette nouvelle anesthésie, apparaît un état de choc septique avec bas débit. Elle est transférée en réanimation et le scanner révèle une colite ischémique qui va nécessiter une colectomie subtotale. La colite ischémique est vraisemblablement due à une coagulation intravasculaire disséminée ayant entraîné l’occlusion des artères coliques.

Voilà le genre d’événements rapportés sur la base de retour d’expérience (base REX) qui centralise les évènements indésirables associés aux soins déclarés et anonymisés.

 

Quelle que soit la structure de traitement de ces événements selon leur gravité (allant de l’événement porteur de risque –EPR- jusqu’aux événement indésirables graves –EIG-), qu’il s’agisse de matériovigilance, pharmacovigilance, hémovigilance, identitovigilance, que ces aléas soient traités localement par des revues de morbi-mortalité au sein de la cellule de gestion des risques de l’établissement, audit clinique, participation aux registres, ou plus grave par des comités d’experts judiciaires, ils ont tous en commun la nécessité d’une analyse –au moins personnelle et individuelle- pour éviter leur reproduction.

L’accréditation des médecins apporte un outil collectif, anonyme et parfaitement bien structuré pour permettre ces analyses.

 

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Reprenons cette petite histoire initialement anodine bien que particulièrement grave dans son issue qui peut donc en fait arriver à tout le monde.

Chacun peut ignorer sa responsabilité en rejetant aisément « la faute à l’autre »…

L’utilisation d’une « grille alarme » permet de façon reproductible d’identifier les différents éléments sources et les « barrières » qui n’ont pas fonctionné.

Bien que le patient ait consulté le chirurgien et que sa responsabilité directe soit de fait engagée, c’est avant tout un travail d’équipe, associant tous les intervenants qui impose une coordination parfaite.

Au delà de la « responsabilité » l’analyse codifiée de cet EIG permet de définir de multiples points de défaillance :

- Absence de protocole pour définir qui fait quoi.

- Passages alternatifs des différents intervenants lors de la sortie du patient.

- Absence de communication et de concertation entre les différents intervenants.

- Ignorance par le reste de l’équipe de la procédure thérapeutique du chirurgien (avulsions dentaires sans interruption du traitement par AVK).

- Application « systématique » de « recettes » sans réflexion quant à à la personnalisation du cas ignorant de ce fait les interactions et contre-indications médicamenteuses.

- Utilisation d’ordonnances préétablies, qui plus est, distribuées par l’infirmière sans contrôle médical.

- Délégation de tâche non contrôlée.

- Surveillance post opératoire inappropriée sur un cas complexe.

Ainsi sur chaque difficulté rencontrée lors du déroulement d’une procédure thérapeutique, de multiples défaillances parfois mineures et négligées peuvent en s’associant conduire à des évolutions péjoratives de la prise en charge d’un patient. La réflexion induite n’est permise que par un temps suffisant d’étude rétrospective de nos pratiques. Ce temps d’évaluation est en fait altéré par trois handicaps essentiels :

  • un temps dédié insuffisant lié lui même à l’objectif de rentabilité qui nous est inculqué par la faiblesse de honoraires et une pression toujours plus forte de notre environnement de travail.

  • une connaissance insuffisante de l’erreur humaine, consubstantielle de tout exercice non réalisé par une machine, mais dont l’acceptation de fatalité est intimement liée aux « habitudes » et à « l’expérience » dont la « routine » interdit la clairvoyance d’imaginer une évolution vers un comportement qui serait peut-être plus adapté.

  • une sensibilité insuffisante pour déjouer l’apparition pourtant naturelle de petits problèmes.

Blasés de nos exercices, nous sommes devenus coutumiers des performances et des conditions d’exercice dégradé auxquelles plus personne n’attache d’importance, endormant la vigilance de chacun jusqu'à la survenue d’un accident qui, tel un électrochoc, induit une évolution de rupture « MAIS TROP TARD ».

Loin d’une démarche coercitive, l’instruction permanente des retours d’expérience a permis à l’aéronautique les Petits Progrès Permanents qui l’on conduite (dans nos contrées occidentales développées) au niveau d’excellence reconnu. Les accidents plus nombreux sur les modèles économiques de pays moins développés représentent le modèle expérimental réel qui peut corréler la sinistralité aux moyens mis en œuvre. Check-lists et procédures sont la traduction d’une volonté permanente d’asseoir les pratiques sur des supports objectifs concertés. Loin d’une application technocratique c’est une sécurisation qui s’oppose au « bon vouloir » de l’empirisme de chacun ainsi qu’aux oublis malheureusement trop fréquents dans les surcharges et interruptions de tâches.


 

  1. Pourquoi une gestion du risque ?

L’importante augmentation des procédures judiciaires suivie de l’explosion des primes de responsabilité professionnelles jusqu'à ne plus pouvoir couvrir ce risque et l’impossibilité de certains professionnels à obtenir une assurance a conduit les pouvoirs publics à mettre en place la dispositif d’accréditation. La Haute Autorité de Santé fut donc missionnée pour définir puis mettre en place ce dispositif. Le premier constat, reposant sur l’importance de la fréquence des aléas liés à l’organisation, donc évitables, a surtout permis de mettre en place une méthode de prise de conscience de ces risques. Au sein des instances les plus en causes (plus qu’au sein des cabinets de consultations ou de soins) il était important que les établissements de soins, qui fonctionnent en équipe et sont donc de ce fait plus exposés aux aléas d’organisation, soient les plus directement concernés. Agir sur une équipe « non médicale » dépendant le plus souvent d’une hiérarchie administrative est particulièrement complexe. Seule la certification des établissements a permis de stimuler cette gestion du risque.

Le meilleur « levier » était naturellement l’intéressement des médecins, premiers concernés dans les affaires judiciaires. Il devenait donc naturel qu’un mécanisme spécifique pour les médecins, « l’accréditation » puisse être le relais indispensable dans la motivation des structures de soins.

Ainsi ont été définies les « spécialités chirurgicales ou médicales interventionnelles dites  à risque » :

Chirurgie urologique

Gastro-entérologie interventionnelle

Neurochirurgie

Réanimation médicale

Echographie fœtale 

Anesthésie-réanimation

Chirurgie pédiatrique

Cardiologie interventionnelle

ORL et chirurgie cervico-faciale

Chirurgie viscérale générale et digestive

Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie

Gynécologie et obstétrique

Chirurgie orthopédique et traumatique

Chirurgie plastique et réparatrice

Chirurgie thoracique et cardiovasculaire

Radiologie interventionnelle

Ophtalmologie chirurgicale

Chirurgie vasculaire


 

Plus que cette démarche officielle et ce cadre règlementaire la gestion des risques liés aux soins devrait être une préoccupation quotidienne de tous professionnels de santé.


 

Quelques définitions :

Un événement indésirable associé aux soins (EIAS) est un évènement inattendu qui perturbe ou retarde le processus de soin, ou impacte directement le patient dans sa santé.

Un événement porteur de risque (EPR) représente un presque accident sans suite ou complication

Un événement indésirable grave (EIG) est un aléa ayant entrainé une complication morbide et qui doit être déclaré (obligation légale) dans la base de l’institut de veille sanitaire (INVS).

Sur 47 276 évènements indésirables associés aux soins (EIAS) déclarés par les médecins accrédités jusqu'à mars 2015 les principales causes ont pu être identifiées : 27 % surviennent à cause de dysfonctionnements liés à l’équipe, 23% liés aux tâches à accomplir et enfin 15% sont liés au patient lui-même.

  1. Quels avantages ?

Participer à une méthode de gestion de risque est avant tout un enrichissement personnel pour sécuriser son exercice. La participation à une réflexion structurée rend plus rapide et plus efficace l’analyse et la mise en place de référentiels de travail individuel. Une démarche collective est toujours source d’enseignements par le « benchmarking » de la réflexion des autres.

Changement de mode de raisonnement : à court terme il peut sembler que « rien ne change ». En fait insidieusement la réflexion personnelle de la mise en œuvre de nos pratiques change nos références. Sans devenir obsessionnel d’une pseudo-performance en sécurisation des pratiques, nos regards sur nos soins sont modifiés en déjouant par anticipation certains aléas prévisibles. L’objectif d’amélioration est atteint.

Chacun dans son exercice va petit à petit mettre en place des procédures, édifier des barrières afin de limiter la reproduction d’événements indésirables.

On apprend plus de ses échecs que de ses réussites et il faut profiter des erreurs des autres car la vie professionnelle est trop courte pour les réaliser toutes !

L’engagement dans l’accréditation représente donc un modèle pratique : mise en œuvre aisée volontaire et peu contraignante, bénéfice d’une démarche structurée reproductible, travail collectif permettant un échange de réflexions et un accès aux retours d’expériences anonymes.

Par l’association au sein d’un programme annuel, d’une démarche cognitive et d’une action évaluative, être accrédité permet la validation du « Développement Professionnel Continu »

Par delà l’intérêt professionnel intellectuel certain, la démarche incitative légale permet à certains professionnels d’obtenir une prise en charge partielle de la prime en responsabilité professionnelle par un retour de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie

Bien entendu il s’agit d’une formidable action de formation continue qui bénéficie à ce titre des subsides ou intéressements divers dédiés

  1. Quelles obligations ?

Un programme annuel à suivre. Il reste toujours simple pour ne pas être dissuasif mais engageant puisque chaque action doit être réalisée « dans les temps », seule démarche garante de la permanence de la motivation. Ce programme est aisément accessible sur le site de la Haute Autorité de Sante (accréditation des médecins, programme de la spécialité chirurgie maxillo-faciale et stomatologie)

Un réel investissement de réflexion : seul moyen de tirer un véritable bénéfice de ces actions et de devenir plus performant et efficace.

 

Maxillorisq