Gestion de l’alvéole post-extractionnelle

 

Parution LS 68 - Spécial ADF 2015

Auteurs : Elisa CHOUKROUN, Alain SIMONPIERI, Antoine BLOMART, Joseph CHOUKROUN

Une approche biologique

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Gestion de l’alvéole post-extractionnelle.Une approche biologique

Elisa CHOUKROUN. Etudiante 6ème année UFR Odontologie. Nice
Alain SIMONPIERI. DDS. Marseille
Antoine BLOMART. DDS. Lyon
Joseph CHOUKROUN. MD. Centre antidouleur. Nice

L’extraction est un des actes les plus fréquents en cabinet dentaire. Cependant la gestion et la conservation du volume osseux restent compliquées en raison de la résorption alvéolaire qui démarre immédiatement après le geste thérapeutique. Nous proposons dans cet article une approche simple et efficace qui sera guidée par la compréhension des mécanismes biologiques qui concourent à cette résorption.

 

A/ La résorption post-extractionnelle : Un phénomène inévitable


De très nombreuses études ont montré que cette résorption est inéluctable.
La perte de volume osseux est en moyenne de 3,8mm dans le plan horizontal et de 1,24 mm dans le plan vertical [1], soit une résorption moyenne de 50% [2]. Les 2/3 de cette résorption sont constatés dans les 3 premiers mois. A six mois, le volume est réduit de 29 à 63% en horizontal et de 11 à 22% en vertical [3]. Consulter l'article avec les photos en pdf
La pose d’un implant immédiat dans un site d’extraction est soumise au même type de contrainte, à savoir une difficulté à maintenir le volume osseux vertical et horizontal. L’utilisation d’un biomatériau afin d’empêcher la fonte osseuse a été proposée : la perte de volume osseux est réduite, cependant, statistiquement :
L’utilisation de biomatériaux n’empêche pas la perte vestibulaire ou palatine [4]
L’utilisation d’os autologue en copeaux n’empêche par la perte osseuse [5]
L’utilisation d’une xénogreffe retarde la cicatrisation de l’alvéole [6]
L’épaisseur de l’os vestibulaire va influencer la stabilité à long terme des tissus durs et mous. [7]
Le placement d’un implant ne permet pas de maintenir le volume de la crête osseuse. [8]
30% des implants ont subi une résorption marginale après 3 ans [9]

 

B/ Comprendre la résorption post-extractionnelle


La difficulté du maintien du volume osseux est liée au retard de vascularisation de l’alvéole. L’ischémie intra-alvéolaire observée les premiers jours sera responsable de la fonte osseuse. La présence du caillot dans l’alvéole peut réussir à induire une néo-vascularisation mais d’autres facteurs peuvent la contraindre, tels que l’infection résiduelle, l’absence d’un caillot sanguin suffisant ou encore une tension importante des tissus mous.
Mais il faut également envisager l’ischémie de la crête osseuse elle-même : Le lambeau repositionné lors de la suture des berges, peut contribuer à exercer une pression excessive sur la crête et induire ainsi une ischémie du périoste. Toute pression sur un tissu entraine l’ischémie de ce dernier. [10]

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C/ Quelles solutions proposer pour la gestion de l’alvéole?


Seule une revascularisation rapide et une réduction de l’ischémie du périoste peuvent empêcher la fonte osseuse. Deux moyens simples et efficaces sont proposés : Un comblement avec de la fibrine autologue enrichie en facteurs de croissance et une adaptation idéale de la position du lambeau sur la crête osseuse.


a) L’utilisation de PRF.


Le PRF est une matrice de fibrine reconnue comme une matrice extracellulaire provisoire. Cette matrice va également libérer des facteurs de croissance ou cytokines pendant plusieurs jours, accélérant ainsi le processus de néo-vascularisation. Il ne faut pas oublier que c’est d’abord dans la fibrine que les premiers néo-vaisseaux apparaissent. Le caillot de fibrine n’est ni plus ni moins qu’un caillot sanguin concentré, débarrassé de ses globules rouges. De nombreuses publications ont montré l’effet bénéfique du PRF dans les sites d’extraction, avec une formation osseuse accélérée. [11], [12], [13], [14]

Le PRF (ou L-PRF) [15] a récemment été amélioré dans sa composition et porte le nom de Advanced PRF (ou A-PRF). Il est préparé au moyen d’un prélèvement de sang qui sera centrifugé (PRF DUO centrifuge) [16]
Le principe est de combler l’alvéole au mieux, avec le maximum de caillots comprimés (ou PRF plugs). Ces caillots A-PRF seront ensuite suturés pour un maintien optimal dans l’alvéole. La fibrine pouvant rester exposée dans le milieu buccal, il n’est d’aucune utilité de fermer à tout prix l’alvéole. Sans fermeture bord à bord des lambeaux, une tension excessive est ainsi évitée.

b) Le positionnement idéal du lambeau


Le lambeau exerce naturellement une pression sur la crête osseuse et cette pression augmente après l’avulsion de la dent. Or toute pression sur un tissu entraine un défaut de vascularisation [17], [18]. Cette ischémie du périoste va entrainer une fonte osseuse verticale et horizontale.
Pour empêcher le lambeau gingival de contraindre la crête osseuse, nous proposons une technique de suture originale : le matelassier apical.
Le matelassier apical est en soi un matelassier horizontal, simplement apicalisé afin de réduire la tension du vestibule qui se répercute sur le lambeau.
Le matelassier va permettre une immobilisation quasi complète du lambeau.

Photo 1. Schéma du matelassier apical. La pénétration de l’aiguille en vestibulaire dans la gencive libre se fait à au moins 1-1,5cm du bord gingival  pour ressortir en lingual/palatin après passage sur la crête. Retour de l’aiguille en palatin ou lingual. L’ultime passage dans le lambeau se fera au même niveau que la pénétration initiale, légèrement décalé en horizontal (3-5mm),

Cette technique dite « apicalisée » va permettre de créer un espace biologique surmonté naturellement par le périoste, dépourvu de toute tension ou de pression.
Cet espace vide ainsi créé va permettre :
Une vascularisation précoce
Une formation osseuse rapide
Un épaississement physiologique des tissus mous. Le matelassier apical en prenant appui sur la crête osseuse va permettre un épaississement naturel de la gencive aboutissant à une kératinisation plus rapide et plus intense.

 

C/ Quand déposer les fils de suture ?


Plusieurs études ont montré que le rattachement du périoste après son élévation n’est que de 50% à 12 jours et de 75% seulement à 1 mois. Cela sous-entend que les fils de suture sont souvent retirés trop précocement. L’ablation des fils est donc conseillée à 4 semaines pour permettre une attache adéquate. [19], [20].

L’utilisation du matelassier apical engendre fréquemment la pénétration des nœuds à l’intérieur du lambeau muqueux. La solution sera d’utiliser un monofilament résorbable à 4 semaines (Type Glycolon™/ RESORBA). Le temps d’attachement est alors optimal et il ne sera pas nécessaire d’enlever les fils de suture, entrainant un gain de temps et un confort accru pour le patient.
Toutefois, il est absolument impératif de ne pas couper le monofilament trop court après la formation des nœuds. Les chefs deviennent alors plus rigides et entrainent un inconfort certain pour le patient. Il est d’usage de couper un monofil à environ 1cm du nœud.


D/ Cas Cliniques :

 

Cas Clinique 1 : Extractions multiples à la mandibule

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Photo 2. Extractions multiples à la mandibule
Photo 3. Plugs de A-PRF (Préparés dans la PRF Box®)
Photo 4. Comblement avec A-PRF : Le PRF est exposé. Sutures en matelassier apical qui
                pénètrent en pont dans le PRF pour le stabiliser
Photo 5. Comblement avec PRF exposé. Vue occlusale
Photo 6. Cicatrisation à 7 jours.
Photo 7. Scanner à 2,5 mois. Noter la stabilité osseuse vertical et horizontale obtenue sans utilisation de biomatériaux.

Cas Clinique 2 : Extractions multiples au maxillaire


Photo 8. Extractions multiples à la mandibule
Photo 9. Comblement avec A-PRF. Le PRF est exposé. Sutures en matelassier apical.
Photo 10. Cicatrisation à 3 jours
Photo 11. Cicatrisation à 7 jours.
Photo 12. Scanner à 2,5 mois. Noter la stabilité osseuse verticale et horizontale

Cas clinique 3 : Implantation immédiate post-extractionnelle à la mandibule
Photo 13. Implantation immédiate après extraction
Photo 14. Comblement de l’espace péri implantaire par du PRF
Photo 15. Membranes de PRF placées au-dessus de la crête
Photo 16. Sutures en matelassier apical. Noter le bourrelet gingival qui témoigne de l’excès de gencive vestibulaire. C’est le signe que la tension et la pression sur la crête sont nulles.
Photo 17. Vue de la muqueuse à 3 mois
Photo 18. Vue de la crête osseuse à 3 mois. L’implant est recouvert par l’os néo-formé. La formation osseuse verticale est obtenue sans aucune utilisation de biomatériaux.
Photo 19. Vue de la crête après découverte de l’implant par fraisage
Photo 20. Scanner à 3 mois. L’implant est recouvert par 3mm d’os en vertical. Il n’y a pas de résorption horizontale.

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E/ Conclusion


L’utilisation de fibrine autologue enrichie en facteurs de croissance et cellules blanches associée à une gestion à minima de la pression exercée sur la crête osseuse permet d’obtenir une cicatrisation rapide de l’alvéole et un maintien satisfaisant du volume osseux.
L’os formé dans l’alvéole est totalement naturel car aucun biomatériau n’a été rajouté. L’intense vascularisation de cet os obtenu permet d’envisager une excellente stabilité à long terme
Cette approche biologique permet également d’envisager de traiter ce type de patients avec un coût réduit.
D’autres études seront nécessaires pour confirmer la pertinence de ce protocole.

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie :


1. Araujo MG, Hämmerle CH, Simion M. Extraction sockets: biology and treatment options. Clin Oral Implants Res. 2012 Feb;23 Suppl 5:80-2.
2. Araújo MG, Silva CO, Misawa M, Sukekava F. Alveolar socket healing: what can we learn?
Periodontol 2000. 2015 Jun;68(1):122-34.
3. Tan WL, Wong TL, Wong MC, Lang NP. A systematic review of post-extractional alveolar hard and soft tissue dimensional changes in humans. Clin Oral Implants Res. 2012 Feb;23 Suppl 5:1-21.
4. Araújo MG1, da Silva JC, de Mendonça AF, Lindhe J . Ridge alterations following grafting of fresh extraction sockets in man. A randomized clinical trial. Clin Oral Implants Res. 2015 Apr;26(4):407-12.
5. Araújo MG1, Lindhe J. Socket grafting with the use of autologous bone: an experimental study in the dog. Clin Oral Implants Res. 2011 Jan;22(1):9-13.
6. Lindhe J, Cecchinato D, Donati M, Tomasi C, Liljenberg B. Ridge preservation with the use of deproteinized bovine bone mineral.Clin Oral Implants Res. 2014 Jul;25(7):786-90.
7. Ferrus J, Cecchinato D, Pjetursson EB, Lang NP, Sanz M, Lindhe J. Factors influencing ridge alterations following immediate implant placement into extraction sockets. Clin Oral Implants Res. 2010 Jan;21(1):22-9.
8. Araújo MG1, Sukekava F, Wennström JL, Lindhe J. Tissue modeling following implant placement in fresh extraction sockets. Clin Oral Implants Res. 2006 Dec;17(6):615-24.
9. Sanz M, Cecchinato D, Ferrus J, Salvi GE, Ramseier C, Lang NP, Lindhe J. Implants placed in fresh extraction sockets in the maxilla: clinical and radiographic outcomes from a 3-year follow-up examination  Clin Oral Implants Res. 2014 Mar;25(3):321-7.
10. Mammoto A, Connor KM, Mammoto T, Yung CW, Huh D, Aderman CM, Mostoslavsky G, Smith LE, Ingber DE. A mechanosensitive transcriptional mechanism that controls angiogenesis. Nature. 2009 Feb 26;457(7233):1103-8.
11. Marenzi G, Riccitiello F, Tia M, di Lauro A, Sammartino G. Influence of Leukocyte- and Platelet-Rich Fibrin (L-PRF) in the Healing of Simple Postextraction Sockets: A Split-Mouth Study. Biomed Res Int. 2015;2015:369273.
12. Kotsakis G, Prasad H, Rohrer M, Hinrichs J, Boufidou F, Tosios K. Extraction socket management utilizing Platelet-Rich-Fibrin: A proof-of-principle study of the ''accelerated-early implant placement'' concept. J Oral Implantol. 2015 Sep 21. [Epub ahead of print]
13. Eshghpour M, Dastmalchi P, Nekooei AH, Nejat A. Effect of platelet-rich fibrin on frequency of alveolar osteitis following mandibular third molar surgery: a double-blinded randomized clinical trial. J Oral Maxillofac Surg. 2014 Aug;72(8):1463-7
14. Choukroun J, Adda F, Schoeffler C, Vervelle A. 2001. Une opportunite´ en paro-implantologie: Le PRF. Implantodontie 42:55–62.
15. A.  Simonpieri, J.  Choukroun, M.O.  Girard, T.  Ouaknine  D.  Dohan  Implantation immédiate post-extractionnelle (IIPE)   Implantodontie 2004
16. Ghanaati S, Booms P, Orlowska A, Kubesch A, Lorenz J, Rutkowski J, Landes C, Sader R, Kirkpatrick C, Choukroun J. Advanced platelet-rich fibrin: a new concept for cell-based tissue engineering by means of inflammatory cells. J Oral Implantol. 2014 Dec;40(6):679-89.
17. Boerckel JD, Kolambkar YM, Stevens HY, Lin AS, Dupont KM, Guldberg RE. Effects of in vivo mechanical loading on large bone defect regeneration. J Orthop Res. 2012 Jul;30(7):1067-75.
18. Boerckel JD, Uhrig BA, Willett NJ, Huebsch N, Guldberg RE. Mechanical regulation of vascular growth and tissue regeneration in vivo. Proc Natl Acad Sci U S A. 2011 Sep 13;108(37):E674-80.
19. Boutros S, Bernard RW, Galiano RD, Addona T, Stokes B, McCarthy JG. The temporal sequence of periosteal attachment after elevation. Plast Reconstr Surg. 2003 May;111(6):1942-7.
20. Sclafani AP, Fozo MS, Romo T 3rd, McCormick SA. Strength and histological characteristics of periosteal fixation to bone after elevation. Arch Facial Plast Surg. 2003 Jan-Feb;5(1):63-6.