Remplacer l’os autogène dans les comblements sous sinusiens :

Auteur : Dr Franck Albert ZERAH - Paris - Exercice limité à la chirurgie osseuse et implantaire


 La solution se trouve-t-elle dans un biomatériau exogène ?

La réhabilitation prothétique des secteurs postéro supérieurs, lors de la perte des dents, est très souvent une intervention pour le moins compliquée, lorsque l’on envisage une thérapie implantaire.
La double résorption, dûe à l’extraction des dents, et à la pneumatisation du sinus, entraine, dans la majorité des cas l’apport d’un volume osseux, au moyen de greffes sous sinusiennes.

 

 

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Introduction
Lorsque le patient perd ses dents, il se trouve en déficit osseux au niveau des secteurs postéro-supérieurs, le recours aux comblements sous sinusiens permet alors,  de recréer un volume nécessaire et suffisant à la pose d’implants, afin d’obtenir une réhabilitation prothétique stable sur ces mêmes implants. (fig.1)


Décriée au départ, de par le fait qu’il y avait un gros risque d’infection au niveau des sinus, cette technique est aujourd’hui, parfaitement fiable.
Pendant de nombreuses années, le matériau recommandé, pour sa réponse immédiate, son pouvoir d’ostéoinduction et d’ostéoconduction,  a été l’os autogène, considéré à sa juste valeur, comme étant le « gold standard ».
De nos jours, nombres de biomatériaux, peuvent remplacer avec autant de réussite cet os.
Le consensus généralisé étant d’expliquer, qu’avoir un matériau ostéoconducteur, suffisait à jouer le rôle de mainteneur d’espace entre l’ancien volume osseux, et le nouveau créé par le refoulement de la membrane sous sinusienne, et donc, qu’un néo os se reformait avec le temps, os permettant aux implants une ostéointegration pérenne dans le temps.

Discussion
Lorsqu’un patient perd ses dents aux niveaux des secteurs postéro supérieurs, il se produit un double phénomène de résorption, au niveau de l’os maxillaire supérieur. La première résorption, se produit aux niveaux des alvéoles post extractionnelles, comme partout ailleurs dans la bouche, résorption évoluant de bas en haut. La deuxième résorption, va se développer du haut vers le bas, dans le sinus maxillaire, qui est une cavité vide fortement pneumatisée, où une pression importante s’y exerce.
Ces deux résorptions, sont donc extrêmement agressives, et entraine la fonte très rapide du volume osseux résiduel au niveau de ces zones.
A partir de ces notions, il est fondamental d’évaluer le volume d’os résiduel, lorsque l’on envisage une augmentation de ce volume sous sinusien.
Pour ce faire, la classification de MISCH  a permis d’évaluer le type de technique chirurgicale à adopter en fonction de la situation clinique.
MISCH a établi quatre types de situations : SA-1, SA-2, SA-3 et SA-4.
Ces quatre catégories représentent le volume résiduel d’os en partant de la crête osseuse jusqu’au plancher de sinus juste en dessous de la membrane de SCHNEIDER
SA-1 représentant une hauteur résiduelle d’au moins 12mm, hauteur permettant la pose d’implants sans apport osseux.
SA-2 laisse place à une hauteur comprise entre 12 et 8mm, hauteur qui aujourd’hui avec l’utilisation généralisée d’implants courts permet une pose sans apport osseux
SA-3 où la hauteur résiduelle est comprise entre 8 et 5mm, hauteur pouvant nécessiter un très léger apport osseux, apport osseux ajouté par une chirurgie par voie latérale occasionnellement, mais le plus souvent par voie crestale (technique de « SUMMERS»). 
Cette catégorie permet, lorsque l’on est assuré d’obtenir une stabilité primaire parfaite, de poser les implants simultanément à la greffe. 
SA-4 est une situation ne laissant que 5 à 0mm d’os, entrainant de manière presque systématique une greffe par voie latérale, et la pose différée des implants, lorsque l’os résiduel est inférieur à 3mm. Par contre en suivant les consensus actuels, une voie d’abord crestale peut être envisagée si l’on se rapproche de 5mm d’os résiduel, à la condition sinequanone d’utiliser en parallèle des implants courts entre 6 et 8mm de longueur. (fig.3)


A cette classification de la hauteur d’os résiduel, il faudra apporter la notion de volume d’os en largeur, pour la décision de poser les implants simultanément à la greffe.
Car, si la largeur contre indique la pose d’un implant de diamètre « acceptable », (nous sommes le plus souvent en situation de remplacement de molaires, donc de dents larges, supportant des pressions conséquentes) une greffe d’apposition en « onlay » devra être envisagée avec la greffe d’augmentation verticale, et la pose d’implants donc différée. (fig.4)
A partir de ces notions de techniques chirurgicales en fonction du volume résiduel, va se poser la question du type de matériau à utiliser pour récréer un volume nécessaire et suffisant à la stabilité des implants dans le temps.


Quel matériau choisir pour ce type de greffe ?
Pour répondre à cette question il est bon de rappeler les trois règles d’or qui régissent la régénération osseuse :
L’ostéoinduction, l’ostéoconduction et l’ostéogénèse.
L’ostéoinduction se définit par la « création » (néoformation) d’os, dans un site qui en est dépourvu, à partir de cellules mésenchymateuses sous l’action des protéines morphogénétiques (BMP) (Urist 1965)
L’ostéoconduction se caractérise par la croissance osseuse à la surface d’un matériau ostéoconducteur, à partir de l’os environnant.
L’ostéogénèse ou résultante de deux premières actions aboutira à une croissance osseuse à partir des cellules vivantes présentes au sein du greffon.
Aux premières tentatives de greffes sous sinusiennes, il était entendu que, l’os autogène remplissant ces trois règles, correspondaient le mieux à ce type de chirurgie.
Après plusieurs années, et après avoir étudié le pouvoir ostéoinducteur des parois entourant le greffon, (parois antérieure, postérieure, inférieure, interne et externe) ainsi que le potentiel ostéoinducteur de la partie interne de la membrane de SCHNEIDER, l’utilisation d’un matériau ostéoconducteur pouvait suffire à obtenir une ostéogénèse, et la formation d’un néo os, propice à la pose d’implants.
Toutes sortes de biomatériaux ont donc été utilisés, avec plus ou moins de bonheur, mais il s’avère qu’aujourd’hui, la différence va se faire à la fois dans la durée de « prise » du biomatériau, mais aussi dans sa stabilité volumétrique.
En clair, il faut que le biomatériau prenne vite et garde le plus possible le volume récréé stable.
Pour répondre à ce cahier des charges, il faut s’orienter vers un matériau qui sera résorbé en partie rapidement pour être remplacé par de l’os du patient.
Mais cela ne suffit pas, car pour la stabilité du volume, la partie restante du biomatériau doit être de résorption lente, afin de maintenir le plus possible le volume rempli.
Trois types de biomatériaux répondent à ce cahier des charges.
Le premier est l’association hydroxyapatite-phosphate tricalcique, association qui possède une partie à résorption rapide (phosphate tricalcique), et une partie à résorption lente (hydroxyapatite).
Le second est l’os allogreffique d’origine cortico-spongieux, qui possède aussi une partie à résorption rapide (os spongieux), et une partie à résorption lente (os cortical)
Le troisième est la xénogreffe, le plus souvent d’origine équine ou bovine, dont la structure est proche de l’os humain, et des propriétés biomécaniques presque similaire à l’os allogreffique.  
La différence entre ces trois biomatériaux se fera donc, en fonction de la durée « d’ostéointégration » du greffon.
Il s’avère que l’utilisation d’os cortico-spongieux permet une prise beaucoup plus rapide, ce qui dans le cas choisi, sera retenu.
Il est important de rappeler le type d’os allogreffique choisit.
Cet os est prélevé sur des têtes fémorales de patient, porteur sain, lors d’une mise en place de prothèse totale de hanche.
Ces mêmes têtes fémorales sont ensuite découpées, en blocs pour des greffes d’appositions, ou réduites en poudre avec ou sans corticale, en fonction de l’utilisation nécessaire. (fig.5)
Ces produits vont subir différents traitements chimiques selon un processus parfaitement maîtrisé et reproductible piloté par ordinateur.
Après rinçage, une phase de déshydratation à l’éthanol, permet d’obtenir un produit sec sans avoir recours à une étape de lyophilisation.
Suit ensuite, une mise en emballages pour les blocs, ou en flacons pour les poudres.
Les greffons conditionnés dans leur double emballage sont ensuite stérilisés en phase terminale par irradiation. Il s'agit d'une stérilisation par faisceau d'électrons accélérés, dite stérilisation beta, avec une dose minimale délivrée de 25kGy, garantissant un Niveau d'Assurance de la Stérilité de 10-6.
Il est très important de noter, que cet ensemble d’actions ne dénature en aucune façon les propriétés physico-chimiques du biomatériau utilisé.
La trame collagénique conserve sa souplesse, permettant à ce matériau de ne pas s’effriter à la retouche de bloc, et pour la poudre, une grande facilité de manipulation.
Une fois le greffon implanté, ce réseau de collagène joue alors un rôle essentiel avéré pour favoriser l’adhésion et la migration des cellules qui vont permettre le remodelage osseux tel qu’il se produit naturellement dans l’organisme.
De plus, la phase corticale du greffon, lui confère, dans le cas de grandes reconstructions, une stabilité dimensionnelle du volume greffé dans le temps, stabilité fondamentale le temps du remodelage.

Cas cliniques 1
Le premier cas clinique, est une femme de 51 ans, adressée aussi par un confrère, avec en bouche 7 implants maxillaires, 7 implants mandibulaires et deux prothèses totales supérieures et inférieures. L’énorme souci de cette patiente est, que les 14 implants n’ont jamais pu être mis en charge, pour la simple raison que, la malposition et la perte d’os autour de ces implants contre indiquent formellement la réalisation de prothèses supra implantaires « normales ».
Cette patiente se présente au cabinet dans un état de stress avancé, avec une grande appréhension du traitement que l’on va lui faire subir.
Cette appréhension est surtout due au fait que, cette patiente porte ses deux prothèses totales depuis un très long moment, les implants étant dans une position totalement inexploitable (fig.6 a et b)


Devant cette situation, je cherche par diverses questions l’origine de cet état.
En fait, de par les réponses de la patiente, le praticien qui a posé les implants, a voulu réaliser des extractions avec implantations immédiates, sans respecter la règle du « trigone osseux » , et a placé les implants directement dans les alvéoles, contre la paroi vestibulaire, certainement en présence d’une épaisseur d’os corticalisé trop faible, entrainant la fonte des corticales, dû au stress exercé sur ces mêmes corticales .
Après photos, radiographie panoramique et cône beam, (fig.9), il est décidé en accord avec la patiente, de déposer tous les implants, de réaliser une double greffe sous sinusienne droite et gauche, de combler les puits où se trouvent les implants, et, après cicatrisation, de reposer des implants dans les axes des couloirs prothétiques et la réalisation de prothèses scellées ou vissées sur ces implants.
Devant l’appréhension de la patiente, qui a souffert terriblement physiquement et psychologiquement, suites aux précédentes chirurgies, il est décidé de réaliser en une seule chirurgie, sous anesthésie générale, la dépose de tous les implants, suivie de la pose des deux greffes sous sinusiennes, et le comblement des puits implantaires.
Après infiltration à la xylo-adrénaline à 2%, les implants sont déposés avec des extracteurs d’implants,  système qui consiste à utiliser des cônes filetés qui produisent des mouvements vers la droite ou vers la gauche (« tourne à gauche ») à partir du moment où l’on tourne la clé jointe à ces cônes dans le sens des aiguilles d’une montre. 
Après la dépose des 14 implants, une incision crestale est réalisée de la zone de la canine, jusque la tubérosité, suivie d’une incision de décharge en avant de la zone de la canine, afin d’éviter la fameuse artère sous antrale, anastomose externe de l’artère alvéolaire postéro-supérieure et l’artère infra-orbitaire (artère sous antrale qu’il sera bon de faire saigner dans un deuxième temps, pour « irriguer » la greffe) 
Après refoulement du lambeau crée, deux fenêtres sont réalisées, au moyen d’une fraise demi-lune, (fig.13), jusqu’à atteindre la membrane de Schneider, sans la léser, puis les deux puits sont rejoints, la membrane est ensuite refoulée aux moyens de curettes spécifiques.
Il est important, afin d’éviter de ne remplir que la zone externe du sinus, de bien décoller jusque la paroi interne du sinus, que l’on doit visualiser parfaitement .
Le biomatériau, qui a été réhydraté dans du sérum physiologique ou du sang artériel (fig.15), est ensuite introduit dans le sinus, jusqu’à remplir après léger tassement complètement la cavité (fig.16).
Une fois la cavité remplie, on la protège avec une membrane, à resorption lente, que l’on stabilise à l’aide de pins.
Après scarification du périoste interne, afin de donner de la laxité au lambeau, on suture celui-ci au moyen de points simples discontinus.
On réalise ensuite la même procédure chirurgicale du côté opposé (fig.18)
On termine en comblant les puits implantaires, afin d’éviter une trop grande fonte de l’os après la dépose des implants.
Un contrôle radiologique au moyen d’une radiographie panoramique, permet de vérifier le volume osseux après les greffes.  
De nouveaux implants seront posés 4 à 6 mois après cette chirurgie.

Cas clinique 2
 Le deuxième cas clinique, est une femme de 55 ans, chirurgienne viscérale, totalement phobique du dentiste, qui m’est adressée par un confrère pour une réhabilitation des secteurs postéro-supérieurs.
Un bilan radiologique est réalisé, panoramique qui montre un délabrement dentaire important des secteurs postéro-supérieurs. 
Cette patiente a perdu ses deux bridges postéro-supérieurs, entrainant la détérioration et la mobilité des dents supports de ces bridges.
Il est donc décidé d’extraire les dents supports de ces bridges, de même que la deuxième molaire supérieure gauche extrêmement mobile, et le remplacement par des implants.
En suivant, un bilan cône beam est prescrit.
De par l’activité chirurgicale de la patiente, et dans un but esthétique, il est décidé de réaliser une prothèse transitoire amovible en remplacement des dents extraites, prothèse totalement en acrylique (avec crochets eux aussi en acrylique au niveau des canines pour l’aspect esthétique). (fig.22)
Le cône beam montrant un déficit important du volume osseux, on réalise, avant la pose des implants, une reconstruction osseuse des deux secteurs sous sinusiens au moyen de greffes avec de l’os allogreffique.
Après un délai de cicatrisation dû à la présence d’infection, la chirurgie se déroule, elle aussi sous anesthésie générale, suivant le même protocole que le cas clinique précèdent, afin d’obtenir un volume nécessaire et suffisant à la pose d’implants de tailles et de diamètres adéquates.
Le résultat montre après cicatrisation, lors du contrôle panoramique et du cône beam la possibilité de poser, de 6 à 8 implants, permettant une réhabilitation prothétique supra implantaire pérenne.

Conclusion
En présence de déficit important des secteurs postéro-supérieurs, le recours à la greffe osseuse sous sinusienne, permet aujourd’hui d’obtenir des volumes osseux conséquents et la pose d’implants le plus possible dans le future couloir prothétique des couronnes ou des bridges supra implantaires.
L’utilisation dans ce cas précis d’os allogreffique, permet de réduire la lourdeur des interventions par rapport à l’os autogène (impliquant un deuxième site opératoire et des suites post opératoires beaucoup plus lourdes).
De plus, le recours à l’os allogreffique diminue le temps de cicatrisation, en comparaison avec les biomatériaux synthétiques ou la xénogreffe, de manière significative, ce qui peut avoir une importance capitale lorsqu’il doit y avoir plusieurs chirurgies supplémentaires (pose d’implants différée et/ou greffes mucco gingivales) 
Malgré tout, il faut avoir à l’esprit, que ces chirurgies, même si elles semblent accessibles, demandent une bonne maitrise du maniement des tissus, (manipulations des lambeaux gingivaux,  décollement méticuleux de la membrane sinusienne sans la déchirer et répartition homogène sans perte des greffons osseux) si l’on ne veut pas aller au-devant de situations catastrophiques dans certains cas  pouvant aller jusqu’à la perte de la greffe en cas de perforation importante de la membrane sous sinusienne, voire d’une infection sinusienne importante pouvant entrainer d’importantes conséquences négatives sur la santé du patient opéré.