Utilisation des lasers diodes dans les actes de biopsie et d’exerèse des tumeurs bénignes

Auteurs :

Elisabeth HOLLARD (Miramas)
Docteur en chirurgie dentaire
Attachée Hospitalo-universitaire, Faculté d’Odontologie de Marseille, Aix-Marseille Université
Certificat de Compétence Clinique en chirurgie dentaire laser assistée Université de Paris Garancière.
I.M.L.A. (International Médical Laser Academy)
 
Jean-Luc GIRARD (Miramas)
Docteur en chirurgie dentaire
Attaché Hospitalo-universitaire, Faculté d’Odontologie de Marseille, Aix- Marseille Université.
Certificat de Compétence Clinique en chirurgie dentaire laser assistée, Université de Paris Garancière.
Chargé de cours au D.U Européen en chirurgie dentaire laser assistée, Universités Paris-Diderot et Milan Bicocca.
Vice-président I.M.L.A. (International Médical Laser Academy)
 
Parution Lettre de la Stomatologie 57 - Mars 2013
 

A. INTRODUCTION
Des lésions bénignes nodulaires (épulis, fibromes, mucocèles, diapneusies, hypertrophies gingivales…)  sont fréquemment rencontrées dans la cavité buccale de nos patients. (Ben Slama L. 2003)
Elles engendrent souvent une gêne fonctionnelle ou esthétique et peuvent être source d’inquiétude pour le patient. Leur exérèse constitue le traitement de choix et seul le diagnostic histologique associé permet de les caractériser (nature et malignité).
La muqueuse de la cavité buccale et les gencives sont des zones particulièrement sensibles et vascularisées. Ainsi le saignement occasionné lors d’une exérèse à la lame froide peut gêner  le praticien, et la pose de sutures n’est pas toujours aisée. D’autre part, les suites opératoires doivent être des plus réduites, de sorte à perturber le moins possible l’alimentation, la phonation et la vie sociale de nos patients.
Nous verrons à travers 4 cas cliniques comment une technique chirurgicale laser assistée permet de satisfaire les critères précédemment énoncés et rend ce type de geste chirugical accessible à tout omnipraticien. 
Le laser utilisé dans ces cas est un laser diode de 980 nm, modèle Laserical D (Fig.1). Sa mise en œuvre est simple et rapide : cette longueur d’onde permet, selon les réglages utilisés, de réaliser une incision précise, de coaguler et de biostimuler le site pour en favoriser la cicatrisation (Romanos G, Nentwig GH.1999). Ce type d’ablation est également possible avec la majorité des lasers utilisés en odontologie.

Fig.1 : Laser diode 980 nm superpulsé Laserical D

 

B. CAS CLINIQUES

1 : Diapneusie linguale


Fig.2 : Présence d’un fibrome sur la pointe de la langue

Présentation du cas 

Un patient consulte pour une gêne fonctionnelle et esthétique occasionnée par une lésion nodulaire sur le bord antérieur de la langue (Fig.2), avec tendance à la morsure. L’examen clinique de la région évoque la présence d’un fibrome de type diapneusique en regard d’un diastème inter-incisif. La propension du patient à interposer la langue entre les incisives, semble constituer l’étiologie principale de cette diapneusie. 
Le plan de traitement consiste en une biopsie exérèse de la lésion au laser avec envoi du prélèvement en laboratoire d’anatomopathologie.

Déroulement de l’intervention

Un point d’anesthésie (1/10 de carpule) sans vasoconstricteur est réalisé sur la pointe de la langue à la base de la lésion.

Fig.3 : Préhension de la lésion avec une précelle à griffe

La lésion est maintenue à l’aide d’une précelle à griffe (Fig.3). Son excision est réalisée à l’aide de la fibre de 400 µm avec extrémité activée, (laser diode 980 nm, réglée sur 3W, mode continu), par courtes rafales d’1 seconde (ce que nous qualifierons plus loin de « T-on  praticien ») entrecoupées de 2 à 3 secondes de pause (ce que nous appellerons le « T-off praticien ») (Fig.4). 

Fig.4 : Réglages machine pour un effet photo-ablatif.


Fig.5 : Mise en tension de la lésion pendant la manœuvre d’exérèse.

La fibre, placée au contact de la lésion, est orientée tangentiellement à la surface de la langue, de manière à diminuer la zone affectée par les effets thermiques du faisceau. Lorsque le rayonnement est activé, le praticien doit veiller à toujours garder cette fibre en mouvement afin d’éviter la carbonisation des tissus. L’excision complète est rapidement obtenue (Fig.5).  L’intégrité de la lésion est préservée et le prélèvement est placé dans un flacon de formol pour analyse histo-cytologique. 
Le site de prélèvement, saignant légèrement, est coagulé grâce à la même fibre en réalisant une « membrane biologique ». (réglages machine: 2W, en mode pulsé  avec un T-on = 5ms et T-off = 5ms, au contact) (Fig.6). 

Fig.6 : Aspect post opératoire immédiat après coagulation du site

Une biostimulation est effectuée en défocalisant la pointe de la fibre à 1 cm des tissus cibles, de manière à ce que le faisceau du rayon de visée couvre une surface totale de plus de 1 cm². De petits mouvements circulaires sont réalisés autour de la lésion (réglages : 2W, mode continu, 30 secondes) afin de ne pas augmenter de plus de 10 à 13° la température des tissus irradiés (Rey G. 2009).
L’intervention dure quelques minutes, avec un geste chirurgical de moins d’une minute. Le patient quitte le cabinet avec une simple prescription de bain de bouche à débuter 24h après l’opération, complétée par les conseils classiques d’hygiène bucco-dentaire. 
Rapport d’analyse
L’analyse anatomopathologique rendue possible par le prélèvement de la lésion intacte confirme l’histologie d’une diapneusie bénigne.
Suites opératoires
Les suites opératoires sont nulles, le patient n’ayant ressenti aucune gêne ni sensibilité tant en post opératoire immédiat que dans les jours qui ont suivi l’intervention. Il n’a présenté ni œdème, ni paresthésie linguale et son élocution était normale dès le réveil. La cicatrisation est quasiment intégrale lors du contrôle à 5 jours, et le bien-être du patient est confirmé (Fig.7). A 19 jours, l’aspect de la langue est devenu normal et la lésion oubliée par le patient. (Fig.8).

      

Fig.7 : Cicatrisation à 5 Jours                                       

Fig.8 : Cicatrisation à 19 Jours

Conclusion du cas
La langue est une zone particulièrement sensible. Les interventions de chirurgie conventionnelle dans ce secteur sont souvent délicates et s’accompagnent de suites invalidantes pour le patient. La possibilité d’intervenir en s’affranchissant d’effets secondaires fait du laser un outil de choix dans ce type d’indication (Saleh HM, Saafan AM. 2007).


2 : Diapneusie palatine

                   

Fig.9 : Présence d’une lésion nodulaire palatine                    

  Fig.10 : Lésion nodulaire 

palatine compromettant la stabilisation de la future prothèse totale

Présentation du cas 
Cette patiente de 62 ans a perdu sa prothèse totale maxillaire et demande d’en réaliser une nouvelle. L’examen clinique révèle la présence d’une lésion nodulaire palatine pédiculée compromettant la stabilité de la future prothèse totale (Fig.9 et 10).
Déroulement de l’intervention
Une anesthésie sans vasoconstricteur est pratiquée à la base de la lésion, maintenue par une précelle. L’exérèse s’effectue avec la fibre de 400 µm activée et le laser diode est réglé à 3 Watts en mode continu, pour permettre un tracé d’incision précis (Fig11).

Fig.11 : Exérèse de la lésion

Une fois l’exérèse réalisée, le prélèvement est conditionné pour son analyse. Une coagulation (Fig.12 et 13) du site est réalisée, ainsi qu’une biostimulation avec les mêmes réglages que ceux sélectionnés pour le cas n°1 (Fig.14 et 15). Ceci afin de réduire les suites opératoires et d’améliorer le délai et la qualité de la cicatrisation.


                                       

Fig.12 : Coagulation du site opératoire                                                                                                                 

Fig.13 :   Réglages pour un effet thermique de coagulation

Fig.14  :Biostimulation

Fig.15 : Aspect post opératoire immédiat
Rapport d’analyse
Le compte rendu anatomopathologique fait état d’une diapneusie bénigne.
Suites opératoires
Aucune suite opératoire n’a été décrite par la patiente : absence de gêne, de douleur et de saignement. L’empreinte pour la réalisation de la prothèse a été réalisée 10 jours après l’intervention. (Fig.16)

 Fig.16 : Cicatrisation à 7 jours

Conclusion du cas
La nécessité esthétique et sociale de refaire une prothèse dans les plus brefs délais pour cette patiente conduit le praticien à choisir une technique aux suites opératoires négligeables. L’utilisation du laser permet d’atteindre cet objectif en n’entraînant que peu de traumatismes au niveau des tissus adjacents et en évitant les sutures. La biostimulation permet d’améliorer encore les délais de cicatrisation.


3 : Diapneusie Jugale


Fig.17 : Nodule diapneusique de la muqueuse jugale

Présentation du cas 

Une patiente de 48 ans présente à l’examen clinique un nodule diapneusique au niveau de la muqueuse jugale (Fig. 17). La zone d’aspiration en regard de ce nodule, constituée par un édentement non compensé depuis plusieurs années, semble constituer l’étiologie de cette lésion. Un diagnostic clinique de diapneusie bénigne est posé. Le traitement par exérèse en permettra une confirmation histologique.

Déroulement de l’intervention
La lésion est anesthésiée par sa base, sans vasoconstricteur. Idéalement, pour éviter l’aspect de cratère immédiatement après l’exérèse, la zone rétrocommissurale et la lèvre inférieure sont retroussées autant que possible par l’assistante. Les tissus sont alors tendus au niveau du nodule et la base de la lésion plus facilement identifiable. L’incision grâce à la fibre laser de 400 µm est alors la plus réduite possible. L’extrémité de la fibre est activée, et le laser réglé sur 3 Watts en continu.
Le nodule est rapidement excisé (Fig.18) et est immédiatement fixé dans la solution de formol fournie par le laboratoire d’analyse anatomopathologique. (Fig.19)

              
Fig.18 : Aspect post-opératoire immédiat      

Fig.19 : Fixation du prélèvement dans le formol

La coagulation du site (Réglage : 2W avec T on =5 ms et T off = 5ms, fibre 400 µm au contact des tissus à coaguler) et une biostimulation (Réglage: 3 W en continu, fibre de 600 µm, pièce à main de défocalisation,) sont réalisées.
Rapport d’analyse
L’analyse histologique permet de confirmer le diagnostic clinque supposé de diapneusie bénigne.
Suites opératoires
Les suites opératoires pour la patiente sont inexistantes. L’aspect de cratère obtenu en post opératoire immédiat disparaît en quelques semaines (Fig.20).

Fig.20 : Cicatrisation à 5 semaines

Conclusion du cas
L’exérèse laser assistée permet une intervention rapide et confortable pour la patiente et pour le praticien. L’absence de sutures et de suites opératoires n’entravent pas les fonctions masticatoires ou d’élocution.


4 : Hyperplasie gingivale


Fig.21: Présence d’un épulis au niveau de la papille interdentaire

Présentation du cas 

Une patiente de 39 ans qui suit depuis plusieurs mois un traitement orthodontique se plaint de douleur et de saignement spontané au niveau de 15 et 16. L’examen clinique décèle un épulis au niveau de la papille interdentaire entre 15 et 16 (Fig.21). L’appareil orthodontique apparaît comme la cause irritative à l’origine de cette pseudo-tumeur. La difficulté de maintenir une bonne hygiène bucco-dentaire en raison de l’appareillage orthodontique aggrave le caractère douloureux et inflammatoire de cette hyperplasie gingivale. 
Déroulement de l’intervention
La lésion est anesthésiée à sa base sans vasoconstricteurs. L’exérèse est réalisée selon les réglages déjà cités dans les cas précédents. Il faut cependant noter qu’il s’agit ici d’un épulis c’est à dire d’une hyperplasie circonscrite de nature inflammatoire. La lésion est donc plus vascularisée que les diapneusies précédemment décrites. L’absorption du rayonnement laser 980 nm dans l’hémoglobine est donc augmentée et l’effet photo-ablatif majoré. Ainsi les risques de carbonisation des tissus adjacents sont diminués et le « T-on praticien » peut être légèrement augmenté. Ceci n’autorise cependant en aucun cas à rester immobile avec le rayonnement actif et ne dispense pas non plus des intervalles de repos de 2 à 3 secondes imposés par le praticien (« T-off praticien »). 
Il faudra veiller dans ce cas à épargner l’appareil métallique orthodontique avec le rayonnement laser (Fig.22).

Fig.22 : Exérèse de l’épulis avec une fibre de 400 µm
Après exérèse (Fig.23), le site est coagulé (Réglage : 2.5W avec T-on =5 ms et T-off = 5ms, la fibre au contact des tissus à coaguler) (Fig.24). Dans ce cas, pour la biostimulation, on préfèrera utiliser la fibre de 400 µm défocalisée plutôt que la pièce à main de défocalisation afin de mieux contrôler le direction du rayonnement pour éviter au maximum d’irradier l’appareil orthodontique. 


Fig.23 : Aspect postopératoire immédiat                       

Fig.24 : Réglages pour un effet thermique de coagulation sur tissu inflammatoire

 

Rapport d’analyse
L’analyse histologique diagnostique un épulis à plasmocyte bénin.
Suites opératoires
Comme dans les cas précédemment étudiés, aucun saignement ou œdème post opératoire n’est relevé. La patiente est soulagée de sa douleur initiale et peut reprendre des manœuvres d’hygiène bucco dentaires correctes dans les jours qui suivent (Fig.25).

Fig.25 : Cicatrisation à 8 jours post opératoire

Conclusion du cas
L’accès chirurgical dans ce cas est compliqué par la présence du dispositif orthodontique, compliquant une exérèse à la lame froide et surtout la mise en place de sutures. L’éviction laser assisté offre en outre un confort opératoire sur ce type de lésion inflammatoire facilement hémorragique grâce à l’effet hémostatique du rayonnement laser.

C. CONCLUSION
L’intérêt de l’utilisation d’un laser est ici de rendre bénin un geste relativement complexe par la chirurgie habituelle sur une zone particulièrement sensible. Les techniques de coupe par bistouri électrique offrent également une coagulation (électrocoagulation), mais l’absence de possibilité de maîtrise des effets thermiques au sein des tissus voisins et sous jacents, s’accompagne souvent de carbonisations puis de nécroses. Elles laissent fréquemment des zones cicatricielles marquées, voire douloureuses. 
L’effet thermique de vaporisation obtenu avec les lasers est maîtrisable et permet une coupe précise à la base de la lésion sans endommager la pièce anatomique de manière à pouvoir  la caractériser de façon certaine par un examen anatomo-pathologique. 
L’effet hémostatique des lasers permet un confort opératoire non négligeable pour le praticien en garantissant une bonne visibilité du site opératoire. La dispense de suture dans tous ces cas évite l’accumulation de bactéries au niveau de la plaie et constitue un confort pour le patient. 
L’effet thermique de coagulation peut être utilisé en cas de saignement post-opératoire et crée une membrane biologique en surface. Cette membrane, rapidement différenciée en fibrine, joue un rôle de barrière physique vis-à-vis des agressions mécaniques et bactériennes rencontrées dans la cavité buccale. Elle garantit une régénération rapide et de qualité de la muqueuse sans laisser de traces cicatricielles. (Rey G et al. 2010).
L’effet biostimulant, grâce au pouvoir pénétrant de la longueur d’onde 980 nm permet de favoriser la cicatrisation dans les couches sous-jacentes en diminuant l’œdème post opératoire et en accélérant l’ensemble du processus cicatriciel. Il favorise la relaxation tissulaire et permet ainsi de s’affranchir des suites douloureuses (Rey G, Missika P. 2010).
L’omnipraticien est ainsi capable, grâce à l’assistance des lasers,  de simplifier les traitements de ces lésions bénignes en intervenant directement au cabinet. Seule l’analyse histologique étant externalisée, la durée totale du traitement et le stress du patient s’en trouvent grandement réduits. 
Le spécialiste appréciera, quant à lui, de voir ses gestes chirurgicaux et leurs suites opératoires grandement simplifiés. Il n’hésitera plus à grouper, dans les cas de tumeurs bénignes multiples, plusieurs exérèses au cours d’une même séance, pour le plus grand confort de ses patients.

Elisabeth Hollard et Jean-Luc Girard, IMLA, Miramas

BIBLIOGRAPHIE
Ben Slama L. Panorama des principales affections de la muqueuse buccale. Paris : Laboratoire Aventis ; 2003.
Rey G. Efficacité des lasers en parodontologie. La lettre de la stomatologie. Sept 2009 ; 43 : 4-21.
Rey G, Missika P. Traitements parodontaux et lasers en omnipratique dentaire – Ed. Masson 2010.
Rey G, Missika P, Bufflier P, Caccianiga G, Costessèque M, Fromental R, Seban A, Sroumza JM. Les lasers et la chirurgie dentaire. Paris : CdP – JPIO ; 2010.
Romanos G, Nentwig GH. Diode laser (980 nm) in oral and maxillofacial surgical procedures : clinical observations based on clinical applications. J Clin Laser Med Surg 1999 ; 17 : 193-197.
Saleh HM, Saafan AM. Excision biopsy of tongue lesions by diode laser. Photomed Laser Surg. 2007 Feb ; 25(1):45-9.