Le défaut d'information... De l'obsession... au mauvais rêve!

Cas pratique... Comment le défaut d'information du patient et son refus de certains soins peut se retourner juridiquement contre le praticien!

 

Docteur Gérard REY

Directeur d’Enseignement des lasers médicaux

Paris 7 Garancière – Milan Bicocca

Diplômé en Expertise Bucco-dentaire par la Faculté de Médecine de Montpellier

Expert in Oral Implantology – DGOI-AFI

Professeur AC – Université Milan Bicocca

 


 

  1. INTRODUCTION

S’il est une obligation à laquelle il convient d’être vigilant, c’est celle d’une information complète et humaine vis à vis des patients avant toute proposition de traitement.

C’est la raison du temps conseillé pour les premières consultations des traitements parodontaux ou implantaires qui devraient être égales ou supérieures à 1 heure, même dans un exercice libéral.

Le cas suivant, que je livre à votre réflexion confraternelle vous montrera que nul n’est à l’abri de l’art divinatoire d’une justice parfois étonnante dans ses conclusions contradictoires, et cela parfois même lorsque l’expert judiciaire conclut :

  • « Les interventions ont été réalisées dans les règles de l’art et conformément aux données de la science ».

  • « Les soins prodigués et les traitements appliqués ont été consciencieux, attentifs et conformes aux données actuelles de la science ».

  • « Il n’y a pas de séquelle, et aucune dépense à envisager ».

….. Conclusions suivies par le T.G.I qui condamne le patient R en première instance …..

….. Puis totalement réformées en Cour d’Appel par des conclusions surprenantes.

 

  1. EXAMEN DU CAS

Pour la bonne compréhension du lecteur, je nommerai le praticien « G » et le « patient R ».

« R » consulte « G » à la fin de l’année 2003.

Il se plaint de douleurs généralisées, d’un problème de mastication et indique que « tout commence à bouger ».

Une radiographie panoramique est prescrite, elle montre de nombreuses poches parodontales avec une résorption osseuse importante au niveau de certaines molaires.

 

Fig. 1 – Radiographie panoramique d’origine

 

Cette radiographie panoramique (Fig. 1), marquée au crayon feutre, a permis au cours de cette première consultation de montrer au patient R les différentes pathologies, confirmées par un examen clinique complet, et les différents plans de traitement possible dans son cas :

 

  • La molaire n°37 doit être extraite et peut être remplacée par un implant

  • L’avenir des molaires 46. 47 dépend de la réussite du traitement parodontal

  • Un implant peut être placé pour remplacer la prémolaire n°25

  • Les dents 12 et 14 sont très fragiles et nécessitent une restauration prothétique pour les consolider

  • Pour le secteur maxillaire droit, le prévisionnel indiqué au patient R montre l’éventualité de placer 2 implants pour une reconstruction prothétique implanto-portée qui pourrait rétablir une occlusion jusqu’à la face mésiale des deuxièmes molaires.

La possibilité d’un implant postérieur dépendant de la réussite d’une greffe intra sinusienne , un point d’interrogation est placé au niveau de la dent 17.

 

Le seul traitement envisagé dans un premier temps est un traitement parodontal préventif et conservateur qui est réalisé en quatre séances avec l’aide des protocoles lasers assistés.

 

Ce traitement permet de récupérer une gencive saine et de stabiliser certaines mobilités dentaires avant d’envisager les actes chirurgicaux. (Fig. 02)

 

Fig. 2 – Etat clinique après traitement parodontal

 

Le patient R, satisfait de ces premiers soins, demande au praticien G d’envisager une rééquilibration inter arcade pour améliorer sa mastication.

« G » lui indique les différentes solutions possibles en laissant le choix entre partiels amovibles, bridges ou solutions implanto-portées.

« R » opte pour des solutions de prothèses fixées mais refuse la possibilité d’une greffe intra sinusienne décrite par le praticien « G » avec précision grâce à des photographies de cas identiques traités par « G » dans le même cabinet.

 

Fig. 3 – Description de greffes intra sinusienne pour une information complète

 

L’examen initial et l’information sont complétés par des coupes tomographiques axiales et transaxiales au niveau maxillaire et également un projet prothétique maxillaire (Wax-up) afin de consolider les dents fragiles antérieures et de présenter au patient la réalité de la prothèse qu’il peut attendre sans greffe intra sinusienne (Fig. 6)

 

Fig. 4 – Vérification tomographique avant implantologie

 

Fig.5 – Wax-up prothétique d’information au patient R.

 

L’implantologie est réalisée par le praticien « G » pour le coté S1, le 1 mars 2005. Le volume osseux étant réduit et le sinus lift refusé par le patient R, les deux implants sont placés rapprochés avec une inclinaison vestibulo-palatine différente de la verticalité de la prémolaire naturelle n°14 (Fig. 5).

Les suites opératoires sont favorables, le patient étant revu par le collaborateur du cabinet le 24 mai 2005 pour les soins de la prémolaire n°14.

Le praticien G ne reverra plus « R » et sera contraint d’envoyer un courrier le 25 août 2005 pour signaler que les maintenances parodontales prévues dans le plan de traitement ont été oubliées par le patient R.

 

  1. LE LITIGE

 

« R » vient alors au cabinet du praticien G pour crier haut et fort sa colère sur tous les traitements effectués ….. Il explique avoir rencontré deux autres praticiens qui lui ont expliqué :

  • « que les traitements laser étaient une supercherie malhonnête »

  • « que les 2 implants placés étaient rentrés dans sa prémolaire n°14 avec des lésions irréversibles pour celle-ci …. »

 

Le patient R exhibe une radiographie panoramique pour attester ses affirmations.

Après examen de cette radiographie, « G » lui indique qu’il s’agit d’une projection radiographique qui ne tient pas compte de l’angulation des implants consécutive au volume osseux disponible, les radiographies rétro-alvéolaires postopératoires ne montrant aucun contact ni des implants, ni entre les implants et la prémolaire.

Le praticien G fait également remarquer à « R » que sur cette nouvelle radiographie panoramique, les dégâts osseux des molaires mandibulaires 46 et 47 semblent en bonne voie de cicatrisation et qu’il convient donc de poursuivre le programme d’hygiène bucco-dentaire préconisé après le traitement parodontal.

 

 

Fig.6 – Radiographie panoramique apportée par le patient R.

 

Le patient R, convaincu d’avoir été dupé, exige du praticien G qu’il lui fasse la prothèse implanto-portée gratuitement en le menaçant de multiples plaintes et contre publicités s’il n’accepte pas …

 

 

  1. LA CONCILIATION ORDINALE

 

« G » refuse et « R » porte plainte au Conseil de l’Ordre pour « utilisation des lasers, et pour destruction de sa prémolaire lors de la mise en place des implants » … Il n’était pas du tout question dans les reproches de « R » d’un défaut d’information ….. qui ne viendra que beaucoup plus tard (7 années après …).

La conciliation entre « G » et « R » devant le Conseil de l’Ordre a lieu le 22 novembre 2006 :

 

Fig.7 – Coupe coronale montrant le positionnement correct des implants par rapport à la prémolaire 14

Fig. 8 – Tomographie transaxiale montrant la bonne ostéo-intégration des implants

 

Fig. 9 – Tomographie panoramique montrant l’intégrité des racines de la prémolaire 14.

 

Les coupes tomographiques demandées par le Président du Conseil de l’Ordre montrent :

  1. Que les implants sont parfaitement ostéo-intégrés (Fig. 8 et 9)

  2. Qu’ils sont séparés par un fin volume osseux sans pathologie particulière (Fig. 7 et 9)

  3. Qu’ils n’ont pas détruit ou touché l’intégrité de la racine de la prémolaire n°14 (Fig. 7 et 9)

 

Les conclusions des membres du Conseil de l’Ordre présents ne conviennent pas au patient R qui porte plainte dans un premier temps auprès de la compagnie d’assurances.

 

 

  1. L’EXPERTISE D’ASSURANCE

 

Une 1ère expertise est diligentée par l’expert D en présence de « R », de son avocat et d’un praticien expert chargé de défendre les intérêts du patient R.

L’expertise contradictoire avec la présence de 4 praticiens conclut que les interventions du praticien G ont été menées suivant les règles de l’art et aucun grief ne peut être retenu contre celui-ci.

Au vue des pièces, l’expert D indique même que le patient R a été parfaitement informé de toutes les possibilités prothétiques, ce que le patient R confirme parfaitement au cours de cette expertise.

L’expert D précise : « que le patient R ne voulait absolument pas de comblement sinusien ».

Les conclusions de cette nouvelle expertise ne convenant pas au patient R, celui-ci assigne le praticien G devant le Tribunal de Grande Instance.

Le Tribunal de Grande Instance nomme l’expert J pour effectuer une 3ème expertise de ce dossier qui accumule déjà plus de 7 années de conflit ….

Entre temps, le patient R reconsulte un praticien implantologiste qui, n’utilisant pas le système implantaire mis en place précédemment, convainc le patient R de retirer ses deux implants, d’effectuer un sinus-lift et de remettre en place 3 nouveaux implants de la marque qu’il utilise personnellement.

 

 

  1. L’EXPERTISE JUDICIAIRE

 

C’est dans ces conditions et après la nouvelle pose des nouveaux implants, que l’expert J. effectue son expertise le 25 janvier 2011.

 

Cet expert a la disposition les documents d’information et clinique suivants :

 

  • La fiche clinique manuscrite,

  • Le questionnaire médical signé par le patient,

  • La fiche clinique informatisée,

  • La fiche parodontale de diagnostic (4 pages),

  • Le devis parodontal du praticien G,

  • Le devis d’implantologie du praticien G,

  • Le formulaire de consentement de chirurgie implantaire,

  • Les résultats d’analyses sanguines,

  • Le procès-verbal de conciliation du Conseil Départemental de l’Ordre,

  • Le consentement de chirurgie signé par le patient R,

  • Le rapport d’expertise de l’expert D,

  • Les examens radiographiques complémentaires demandés pour la conciliation du Conseil de l’Ordre et l’expertise de l’expert D,

  • L’étude radiographique et clinique initiale,

  • L’étude prothétique pré-implantaire par Wax-Up.

 

Au cours de cette nouvelle expertise, les nouveaux avocats du patient R, qui a souhaité changer de conseil, font état d’un défaut d’information au départ avec un « manque d’illustrations, de schémas à l’appui, d’informations écrites sur les sinus-lifts et de refus écrit et signé » de part du patient R …..

Pour répondre à ces accusations, l’expert « J » indique qu’il y a en effet un manque d’illustrations et de preuves écrites du refus du patient R du sinus-lift proposé par le praticien G en 2004.

 

Le praticien G a fourni cependant à l’expert un courrier adressé en mai 2006 au patient R (Fig. 10) dans lequel le refus du sinus-lift par le patient est indiqué. Ce courrier n’a jamais été contesté lors des expertises précédentes.

C’est seulement 8 années après le début du litige que les conseils du patient R argumentent sur un défaut d’information initiale …..

Fig. 10 – Courrier adressé en mai 2006 avec évocation des choix thérapeutiques

L’expert constate et note :

  • Que l’occlusion des dents est stabilisée sans mobilité pathologique,

  • Que l’état parodontal actuel est satisfaisant,

 

Il constate et confirme que la prémolaire 14 n’est pas en contact avec l’implant placé en remplacement de la dent 15 et qu’une épaisseur d’os les sépare.

  • Que la dent n°14 n’a pas été endommagée par la pose des implants,

  • Qu’on ne peut retenir aucun manquement technique à la pose des deux implants par le praticien G et qu’ils sont correctement ostéo-intégrés,

  • Que le traitement laser assisté est reconnu scientifiquement et que rien ne permet d’affirmer son inefficacité.

L’expert indique même que le choix thérapeutique d’enlever les deux premiers implants n’était pas impératif, que les interventions du praticien G ont été réalisées dans les règles de l’art et que l’on ne peut donc envisager de préjudice du fait du choix d’un système implantaire différent.

 

Fig. 11 – Résumé et conclusions du rapport d’expertise « J »

 

 

  1. DECISIONS ET JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE (15/09/2015)

 

« Le Juge indique que le patient R ne s’est prévalu d’un défaut d’information que 8 années après les faits et que les textes susvisés disposent que l’information doit être délivrée au cours d’un entretien individuel, que les textes légaux n’exigent pas un écrit ».

Pour ces juges, la non production d’un écrit ne signifie pas que l’information n’a pas été délivrée, le praticien pouvant le faire valoir par tous les moyens dont il dispose.

 

Le Juge retient que le patient R a reconnu en expertise avoir été informé de toutes les possibilités prothétiques et conclut en écrivant que le praticien G satisfait à son obligation d’information à l’occasion des soins prodigués au patient R.

 

Le Juge condamne même le patient R à payer à l’assureur et au praticien G une somme de 1500 €uros chacun + les entiers dépens.

 

 

Fig. 12 – Décisions et Jugement du T.G.I. (15/09/2015)

 

Le patient R qui bénéficie de la protection juridique par son assureur fait appel de la décision du T.G.I. qui rendra son jugement le 27 mars 2018, soit environ 15 années après le début du litige.

 

  1. JUGEMENT EN COUR D’APPEL (27/03/2018)

 

Le Juge a cette fois une vue totalement différente et ne cite nulle part l’important dossier d’information qui accompagnait chacune des expertises.

 

Il indique qu’il ne peut être retenu aucune faute technique ou d’indications opératoires.

 

Il indique que le débat ne concerne que la question d’information du patient.

Il dit que le patient R reconnaît avoir été informé par le praticien G de toutes les possibilités prothétiques, y compris celles d’appareillages amovibles, mais que cela n’indique pas qu’il a refusé une greffe intra-sinusienne …. !

 

Il conclut que le praticien G ne « démontre » pas avoir informé le patient R de la possibilité d’une greffe sinusienne ni des « conséquences prévisibles » en cas de « refus » de cette greffe.

 

Le Juge ne tient pas compte non plus de l’avis des experts qui indiquent tous (3 expertises) que les implants posés par le praticien G pouvaient être conservés. Le Juge décide le remboursement de ces deux implants mais également le prix de l’élimination de ces implants ainsi que les frais de déplacement ! ….

 

Le Juge ne tient pas compte de l’avis des experts mais uniquement de l’avis d’un nouveau docteur I.R. (Jamais cité auparavant à aucune des expertises) pour retenir, suivant les conseils de cette praticienne, une indemnisation de 350 € pour gêne masticatoire et un taux de souffrance enduré de 3/7, soit donc un préjudice moral indemnisé à 1000 €uros ….

 

Le total des indemnisations décidées par le Juge (pourtant non retenues par les différents experts) est donc de 5997,68 €uros auxquels le juge ajoute l’indemnisation du préjudice moral résultant du défaut d’information en allouant 1000 €uros au patient R.

 

Le patient R bénéficiant de la protection juridique de son assureur, le Juge lui alloue une somme de 1500 € pour l’ensemble de la procédure.

 

Plus dépens et frais d’expertises qui seront à la charge des intimés, c’est à dire le praticien G et son assureur.

 

 

  1. DISCUSSIONS ET CONCLUSIONS

 

Certes, il n’est nullement envisagé ici de critiquer une décision de justice, mais simplement d’alerter les confrères (et leurs assureurs …) sur la nécessité d’être particulièrement strict sur nos devoirs d’information qui, visiblement, font l’objet aujourd’hui d’une évaluation subjective qui peut être extrêmement différente (et voire même totalement contraire) d’un Juge à un autre.

 

On peut s’étonner qu’un magistrat accepte 8 années après une remarque de l’accusation jamais proposée auparavant dans les différentes réunions d’expertises ….

 

On peut également s’étonner que le magistrat décide d’indemniser un acte chirurgical que l’ensemble des experts professionnels estiment inutile ou non nécessaire …..

 

On peut s’étonner que pour justifier sa décision d’indemnisation, le magistrat suive l’avis d’une praticienne qui ne participe à aucun débat expertal auparavant …..

 

Cette décision de la Cour d’Appel apparaît certes surprenante dans le simple fait qu’elle justifie son jugement sur les obligations d’information existant en 2018 alors que les faits datent de 2003 et 2004 …

 

Une telle jurisprudence, si elle devait être conservée, est véritablement préjudiciable à la réalité de l’information humaine et professionnelle que nous devons fournir à nos patients dans le cadre d’un contrat de confiance correctement élaboré qu’il convient de mettre en place pour la tranquillité de chacun.

 

Cette jurisprudence implique que pour toute intervention simple, il va être nécessaire d’élaborer toute la liste des interventions compliquées que le patient devra refuser une à une avec signature à l’appui !...

 

Cela veut dire que pour toute prothèse amovible et remboursée par la sécurité sociale, les chirurgiens-dentistes devront obtenir par écrit le refus de toutes les solutions implanto-portées possibles ainsi que le refus de toutes les greffes osseuses envisageables pour reconstruire les maxillaires ? ……

 

Cela veut dire également qu’un ophtalmologiste qui prescrit des lunettes de correction devra peut être faire signer à son malade le refus d’une chirurgie laser assistée ? …..

 

C’est la porte ouverte à toutes les critiques, à tous les litiges, à tous les procès ….

 

Pour éviter cet avenir pénible et triste, à la fois pour les confrères et les patients, il semble nécessaire que l’assureur et le praticien concerné par cette condamnation obtiennent une réforme équitable de ce jugement afin de ne pas placer dans l’avenir les confrères (et les assureurs …) dans une situation délicate, voire périlleuse ! ….

En tout cas, le praticien G en est lui totalement convaincu ….

 

Parution LS 80, Novembre 2018