Interviews
Pour réaliser ce numéro Spécial Sourire radieux à tout âge, LS a fait appel aux Drs Anne-Claire et Michel Metz qui se sont entourés de spécialistes sur le sujet : les professeurs François Clauss, Corinne Taddei (également Doyenne de l'Université odontologique de Strasbourg), Martin Schimmel et Frauke Muller. Nous les avons tous interviewés pour vous les présenter.
Michel Metz et Anne-Claire Metz :
L'implantologie est-elle une passion pour vous et depuis quand la pratiquez-vous ?
MM : Je pratique l'implantologie depuis 1988, date à laquelle j'ai découvert cette discipline par mon ami Philippe Khayat qui avait eu l'opportunité d'accueillir le Professeur Branemark à l'Université de Washington à Seattle.
La pose d'implants dentaire était et reste une opportunité thérapeutique sans équivalent pour pallier un édentement quel qu'il soit, tout en rendant un service fonctionnel hors du commun.
Donc oui l'implantologie permet d'obtenir des résultats exceptionnels et elle a conservé pour moi ce côté "magique" qui m'a enthousiasmé il y a bientôt 30 ans et qui bien évidemment continue de me passionner !
ACM : Ma première année professionnelle s'est partagée entre un cabinet d'omnipratique (j'avais besoin de me confronter à la réalité de l'exercice conventionnel) et le cabinet d'implantologie de mon père. Cela fait maintenant 8 ans que j'exerce à ses côtés, et je me lève tous les matins avec l'envie et le plaisir d'aller travailler. Chaque cas est différent, excitant et enrichissant. Je vois toujours l'implantologie avec les yeux d'enfant du début de ma pratique.
Quels conseils donneriez-vous à un praticien qui veut s'initier en implantologie ?
MM : Un débutant ne doit pas se laisser éblouir par l'implantologie.
Le fait de savoir respecter les tissus osseux et d'avoir une certaine dextérité ne suffit pas.
Avec les années nous avons découvert qu'obtenir et maintenir l'ostéo-intégration relevait de la bonne gestion d'un contexte multifactoriel dont la lisibilité demande un sens clinique qui n'est pas inné. Savoir identifier des facteurs de risque très divers comme une flore agressive, un contexte de bruxisme, une dimension prothétique réduite, un comportement du patient difficile à gérer, des conditions opératoires délicates ou des états de surface implantaire qui s'éloignent des données acquises de la science relève d'un apprentissage parfois long et douloureux ...
Il faut de plus être particulièrement rigoureux au niveau de la conception d'un plan de traitement, avoir toujours à l'esprit la notion de biomécanique, mettre en oeuvre un protocole prothétique rigoureux, bien comprendre l'occlusion et avoir à l'esprit que certaines options prothétiques ne peuvent pas être appliquées à toutes les situations.
Nous avons par ailleurs pu constater qu'avec le temps une bouche se transforme et qu'une occlusion bien réglée au départ du traitement peut devenir agressive pour les constructions implantaires : il est donc primordial de penser à mettre en place un protocole rigoureux de suivi sur le long terme.
ACM : Il me parait essentiel de se faire bien accompagner. Car la pratique de l'implantologie, même si elle peut paraître simple dans certains cas de figure est une discipline qui doit être maîtrisée d'un point de vue technique pour être menée à bien. Il ne faut pas oublier que nous avons la responsabilité des plans de traitements que nous proposons à nos patients pour lesquels l'erreur doit être évitée. Certains cas peuvent se révéler piégeants et un praticien débutant n'aura pas forcément l’œil assez aguerri pour s'en rendre compte. A mon sens une formation « classique » de type diplôme universitaire ne suffit pas, il est essentiel de voir faire, puis de faire en se faisant accompagner. Comme pour la pratique du vélo, il ne suffit pas de connaître la technique et de voir des vidéos, au début une personne doit vous accompagner pour vous éviter de tomber.
Quelle importance accordez-vous à la formation?
MM : La formation continue relève d'un état d'esprit qui doit être ardent tout au long de sa vie professionnelle.
Nous avons beaucoup oeuvré dans ce sens avec nos Consoeurs et Confrères depuis de très nombreuses années. Nous organisons régulièrement des réunions de travail, avons créé un study-club et un site d'échanges d'informations, accueillons les Chirurgiens-Dentistes qui souhaitent se former à la prothèse ou à la chirurgie implantaire, ce qui demande beaucoup de rigueur et d'organisation.
Il faut être curieux de tout et essayer de comprendre les mécanismes, savoir se remettre en question, toujours essayer d'optimiser une prestation en gardant à l'esprit que parfois le "mieux" est l'ennemi du "bien", savoir lire de façon critique une publication et se forger son propre avis étayé par une connaissance toujours en progression. J'espère pouvoir arriver à la fin de mon cursus professionnel avec un appétit intact et une frustration de ne pas avoir pu continuer encore un peu !
ACM : A mon sens la formation est essentielle pour comprendre, apprendre, mais aussi pour progresser. Les diverses formations que j'ai suivies comme le Diplôme Universitaire d'implantologie de Strasbourg, le post-graduate de Montpellier en partenariat avec l'université de New York ont été nécessaires mais pas suffisantes et comme le dit notre ami le Professeur Martin Schimmel il faut de nombreux cas cliniques pour étoffer sa pratique. J'ai eu la chance d'être accueillie par de grands chirurgiens comme mes amis les Docteur Philippe Khayat et Docteur Michel Jabbour à Paris, le Docteur Palacci à Marseille, le Docteur Surménian à Nice, et le Docteur Chatelain, Chirurgien itinérant très original au Canada. Ces rencontres ont été des plus enrichissantes, chaque praticien étant différent et ayant des trésors à transmettre. Evidemment la plus belle formation est celle qui m'est donnée chaque jour par mon père qui est un professeur formidable et à qui je dois tant !
Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie familiale?
MM : Gérer son temps et sa passion surtout dans un domaine aussi éclectique et prenant que l'implantologie demande une certaine souplesse pour garder de la fraicheur quand on quitte son cabinet ! Pour ma part, mon engagement professionnel au niveau de la Faculté, de l'Ordre des Chirurgiens-Dentistes et de la formation continue que j'anime sans relâche avec nos nombreux correspondants rendent ce challenge délicat ! J'essaie de relativiser et de me dire que ma vie professionnelle passe après ma vie privée et non l'inverse et j'essaie de garder autant d'enthousiasme et de passion pour ma famille. J'ai la chance d'avoir une femme qui fonctionne comme moi et me comprend et l'admiration et le respect que nous avons l'un pour l'autre nous portent dans notre amour mutuel. De très nombreux et merveilleux enfants viennent ancrer profondément cette union et c'est toujours un bonheur de rentrer à la maison pour vivre de nouvelles aventures !
ACM : J'ai la chance d'avoir un mari disponible, compréhensif et à l'écoute, qui sait m'attendre avec le sourire si je rentre tard et fatiguée après une longue journée difficile, me permettant de me donner à fond dans mon travail sans avoir à penser au reste. Ma profession étant ma passion, il est essentiel pour moi de pouvoir m'y donner à fond. Ma vie familiale n'en est que plus accomplie !
Quelle est la genèse de ce numéro spécial ?
MM : J'ai été sollicité par le comité scientifique de l'ADF en 2015 pour diriger une session sur l'implantologie dans le domaine gériatrique et pédiatrique en réunissant des spécialistes considérés comme des experts dans leurs domaines.
Cette rencontre a été merveilleuse pour moi et cela a été un bonheur de diriger autant de personnalités fortes qui se sont accommodées avec une grande souplesse des contraintes liées à cet évènement.
J'ai voulu prolonger encore un peu cette alliance éphémère en répondant positivement à la demande du comité de rédaction de la revue LS et j'ai donc accepté de coordonner la rédaction d'un numéro spécial intitulé : "Sourire à tout âge"
Il n'a pas été facile aux auteurs qui ont tous des plannings surchargés de prendre le temps nécessaire pour rédiger leurs articles et je tiens à remercier très sincèrement Frauke Müller et Corinne Taddéi ainsi que François Clauss et Martin Schimmel de même que tous leurs collaborateurs d'avoir tenu leurs engagements.
ACM :
Lors de la mise en place de la session "les implants de 9 à 99 ans ?" pour le congrès de l'ADF en 2016, il nous est rapidement paru évident que ce sujet intéressant et vaste pourrait avoir un prolongement dans la presse afin que les auteurs puissent s'exprimer de façon plus exhaustive sur leurs sujets de prédilection. Ce numéro spécial nous permettra ainsi de garder une trace écrite de cet évènement et de découvrir les domaines de prédilection de chacun de ces grands spécialistes qui arrivent à redonner un sourire à nos patients des plus grands aux plus petits !
Professeur François Clauss
Parcours professionnel
Le professeur François Clauss fait ses études à Strasbourg où il passe sa thèse d'exercice en chirurgie dentaire en 2004. Assistant hospitalo-universitaire à partir de 2005, il soutient sa thèse de doctorat d'état en Sciences Odontologiques en 2008 pour devenir Maître de Conférences des Universités.
Habilité à diriger des recherches en 2015, année au cours de laquelle il devient l'un des plus jeunes Professeurs des Universités de France.
Il exerce sa pratique clinique en tant que praticien hospitalier à l’Unité Fonctionnelle d’Odontologie Pédiatrique des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et dans le Centre de référence pour les manifestations dentaires des maladies rares.
Il a par ailleurs une activité de recherche au sein de l’UMR INSERM 1109 dans le domaine de la Nanomédecine Régénérative.
Professeur Clauss : Comment voyez vous l'évolution de votre discipline ?
"L’évolution de ma spécialité qui est l’odontologie pédiatrique se fait aussi bien sur le plan des biomatériaux, des méthodes de prise en charge de la douleur et de l’anxiété, que de la compréhension des mécanismes à l’origine des pathologies et anomalies dentaires. Pour ce qui est des biomatériaux, la Biodentine et le MTA permettent une amélioration du pronostic des thérapeutiques pulpaires des dents permanentes immatures. Le développement des méthodes de sédation, notamment par administration de midazolam ou par inhalation de protoxyde d’azote, contribue à une continuité thérapeutique pour des enfants anxio-phobiques ou déficients, dont la prise en charge est spécifique et complexe. La recherche clinique, pré-clinique et fondamentale fait partie intégrante de cette spécialité, dans le domaine des mécanismes moléculaires et développementaux impliqués dans les anomalies du développement dentaire isolées et syndromiques et les thérapeutiques implantaires précoces. Une autre perspective de recherche est basée sur les approches de bioingénierie tissulaire dentaire et osseuse, visant à terme une régénération des structures dento-alvéolaires lésées ou atteintes d’anomalies congénitales."
Professeur Corinne Taddéi
Parcours professionnel
Le parcours de Corinne Taddéi, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Doyen de la Faculté de Chirurgie Dentaire de Strasbourg, est marqué par un engagement profond pour l’enseignement, les soins et la recherche, à temps plein dès le début des années 80. Elève du Professeur André Schlienger, elle devient son successeur et restructure totalement l’enseignement de la prothèse amovible. Vice-Doyen durant 12 ans, sous les décanats des Doyens Leize puis Haikel, elle participe aux remaniements pédagogiques liés aux réformes des études, ainsi qu’aux réaménagements de la Faculté et du Pôle dans leurs nouveaux locaux. Son décanat s’inscrit d’une part dans la continuité des engagements de ses prédécesseurs dans le domaine de l’enseignement, de la recherche et des soins, d’autre part dans l’innovation et le développement au sein de l’Université et des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.
Professeur Taddéi : Pourriez-vous nous décrire une journée type de travail ?
"Difficile de répondre à la question «une journée type de travail», tant il y a de diversités qui s’articulent autour de ma fonction décanale qui occupe la majeure partie du temps, de ma fonction d’enseignement et de ma pratique clinique, mon activité de recherche étant devenue moins marquée par manque de temps.
L’activité décanale est avant tout basée sur un travail d’équipe. L’aboutissement des travaux et l’équipement des salles d’enseignement, le développement de nouveaux projets de recherche, de pédagogie pour la formation initiale et continue, d’échanges internationaux, de valorisation de notre patrimoine par la création du musée de la Faculté sont nos principaux objectifs. Par ailleurs, la Faculté et le Pôle sont indissociables, jouant un rôle essentiel à la fois dans la formation mais aussi dans le domaine de la recherche biomédicale. Ceci implique «un tandem» entre le Chef de Pôle et moi-même de concertations et d’échanges hebdomadaires. L’activité d’enseignement demeure ma motivation première. C’est avec enthousiasme que j’enseigne la prothèse amovible durant tout le cursus des étudiants, les diverses heures de cours se répartissant tout au long de l’année. Quant à l’activité clinique, elle se répartit sur 4 demi journées dans la semaine. Enfin, toute ma vie a été consacrée à ma famille et ma Faculté tout en préservant du temps pour la musique et la gastronomie ... activités que je pratique avec passion."
Professeur Martin Schimmel
Parcours professionnel
Martin Schimmel a été promu professeur extraordinaire et responsable de la Division de gérodontologie le 1er août 2014 par la Direction de l’Université de Berne et chargé de cours en prothèse adjointe. Après avoir achevé sa formation de base en médecine dentaire en 1999 à l’Université de Mayence, il y a obtenu en 2000 le titre de Docteur en médecine dentaire. Jusqu’en 2003, Martin Schimmel a travaillé en tant que collaborateur scientifique à la Polyclinique de prothèse dentaire et de science des matériaux de l’Université de Leipzig. Il a ensuite travaillé dans des cabinets privés en Allemagne et en Grande-Bretagne. De 2006 à 2014, il a aussi occupé les responsabilités de médecin-chef à la Division de gérodontologie et prothèse adjointe de l’Université de Genève (sous la direction du Prof. Dr Frauke Müller). Martin Schimmel a obtenu en 2010 une « Maîtrise Universitaire d’Études Avancées en Biologie Orale » à l’Université de Genève et a été promu deux ans plus tard privat-docent de la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Un titre fédéral de spécialiste en médecine dentaire reconstructrice SSO/SSRD lui a été ensuite remis en 2014.
Professeur Schimmel : Quels conseils donner à une personne qui voudrait suivre vos pas ?
Je suis peu marqué par des doctrines d’enseignement car j’ai constaté tout au long des années que beaucoup de chemins mènent à Rome, même en médicine dentaire. Lorsque j’étais étudiant à Mayence, un professeur m’a dit : « Après les premiers 2000 patients, le plus dur est fait ! », c’est pour cela qu’il est important d’apporter des connaissances pratiques notamment dans la médecine dentaire gériatrique. Depuis ma période clinique très intensive dans un cabinet privé à Londres, je pense bien avoir atteint ce nombre et peux ainsi transmettre beaucoup de savoir clinique pratique.
Mon retour à l’Université après cette période a été passionnant d’un point de vue scientifique mais également pratique. Mon professeur, Madame le Professeur Frauke Müller, m’a ouvert un tout nouveau spectre, la physiologie orale et la gérontologie, ce qui m’a fasciné d’emblée. En plus de cela, j’ai pu profiter à Genève de voies hiérarchiques simplifiées et de liberté qui m’ont été accordées et j’ai pu travailler avec des Chirurgiens-dentistes et des scientifiques experts dans leurs domaines. Dans le cadre du projet avec le Professeur Müller, j’ai très souvent rencontré des patients ayant un AVC subaiguë et j’ai accompagné pendant plusieurs années les visites du médecin-chef à la clinique de neuro-réhabilitation de HUG : Cela change la personne, on n’est plus pareil après ! Le travail dans une clinique palliative et notre travail de recherche avec des personnes très vieilles et dépendantes m’a également très fortement influencé et je ne peux que conseiller d'essayer d'avoir la plus grande pratique tout en fréquentant le plus assidument possible les centres gériatriques.
Prof. Dr. Frauke Müller
Parcours professionnel
Frauke Muller fait ses études à l'Université de Bonn où elle obtient son diplôme de médecin-dentiste, puis son doctorat. Elle obtient son Privatdocent en 1996 à l’Université de Mayence. Elle passe plusieurs années au London Hospital Medical College, UK. Elle était Présidente de l’European College of Gerodontology et le Geriatric Oral Research Group de l'IADR. Depuis 2010 elle est Présidente de la Société suisse de médecine dentaire pour handicapés et personnes âgées (SGZBB). Pr Müller est Associate Editor de Gerodontology et Co-editrice du livre « oral healthcare in the frail elder : a clinical perspective». Ses domaines d'activité touchent la gérodontologie, la fonction orale ainsi que la prothèse totale et implanto-portée. En 2013 elle a été nommée « Distinguished Scientist in Geriatric Oral Research » de l’IADR.
Elle est actuellement titulaire de la chaire de Gérodontologie et Prothèse adjointe à la Faculté de Médecine de l'Université de Genève.
Professeur Muller : Quelles satisfactions tirez vous de votre activité ?
Prodiguer les soins dentaires aux personnes âgée est certainement très difficile, car il faut des gestes très compliqués et effectués souvent très vite. Mais la réussite est très gratifiante : les personnes âgées sont vraiment reconnaissantes, même pour des toutes petites interventions comme la retouche d’une prothèse. Rien de mieux que de voir venir un sourire sur le visage d'un patient dément, le moment qu'on tient son main pour lui demander qu'est-ce qu'on peut faire pour lui. Rien de mieux que rendre visite à un patient à domicile pour une réparation, un rebasage ou un retouche simple. La gérodontologie est beaucoup plus large que juste les soins dentaires, et cette dimension "humaine" du contact avec des personnes âgées me fait énormément plaisir. Il n'y a pas de prétentions, pas de jeux, pas d'étiquette; l'honnêteteté des commentaires des patients âgés est rafraîchissant, comme chez les enfants. Mais mon activité comprends également la recherche et l'enseignement, ce qui ajoute évidemment plus de satisfaction à mon activé. Voir les jeunes étudiants si intéressé au sujet de la gérodontologie et du motivation pur! Et enfin la recherche est également passionnant et j'aime aussi l'échange avec des collègues internationales dans le cadre des études multi-centriques ou des congrès internationaux. Bref: rien à dire, j'aime bien ma profession !