Du déplacement tissulaire à son immobilisation : Deux innovations majeures en chirurgie orale : Soft Brushing et Apical Mattress (ou matelassier apical)
Du déplacement tissulaire à son immobilisation : Deux innovations majeures en chirurgie orale : Soft Brushing et Apical Mattress (ou matelassier apical)
LS 73 - Du Déplacement tissulaire à son immobilisation
Auteurs : Joseph CHOUKROUN, Alain SIMONPIERI, Jerome SURMENIAN, Antoine BLOMART, Elisa CHOUKROUN
Introduction
En chirurgie, l’élément clé de la cicatrisation réside dans la possibilité de revascularisation de la zone opérée. Cette angiogenèse nécessite le respect de certains principes biologiques ainsi que l’absence d’obstacles à cette revascularisation. Nous introduisons dans cet article deux propositions simples mais efficaces dans le but d’obtenir une cicatrisation accélérée en prévenant la réouverture du lambeau : la suture en « matelassier apical » et le « soft brushing » L’objectif est de réduire l’ischémie du périoste qui est un des tissus essentiels pour la bonne santé de l’os mais également des tissus mous.
Quels sont les moyens pour obtenir une revascularisation accélérée ?
Moyens chimiques : facteurs de croissance autogènes dont le PRF mais qui ne sera pas présenté dans cet article. Le lecteur trouvera de nombreuses publications à propos du PRF sur Medline
Moyens chirurgicaux :
Réduire les facteurs d’ischémie du lambeau par une suture appropriée
Eviter l’ischémie induite par l’incision du périoste
1. Choix de la technique de suture la plus appropriée
La manipulation et la suture des lambeaux doit se faire dans le respect de la règle de Mammoto (1) : Toute pression sur un tissu va entraîner une ischémie de ce dernier. Lorsqu’on effectue une augmentation osseuse, le lambeau va obligatoirement exercer une pression sur la greffe osseuse. C’est la raison pour laquelle les sutures doivent être réalisées sans tension.
L’élévation du lambeau a une autre conséquence immédiate : il devient mobile. Cette mobilité va créer une tension supplémentaire obligatoire, d’autant plus si le vestibule est (court ou peu profond) déficient. Cette mobilité est peu évidente à objectiver lors de l’acte chirurgical car les tissus sont anesthésiés et les muscles peu actifs. Lorsque le patient va retrouver sa totale mobilité au bout de quelques heures, la tension augmentera par l’activité des muscles peri-buccaux (sourire, nutrition, parole).
La solution pour obtenir une vascularisation optimale est de supprimer toute tension et mobilité : la suture doit immobiliser le lambeau vestibulaire : C’est le principe du « matelassier apical » ou de l’« apical mattress ».
Technique : le matelassier apical est un matelassier horizontal mais plus profond dans le vestibule ; il est apicalisé. La suture commence par la pénétration vestibulaire de l’aiguille dans la gencive libre, en pleine épaisseur. Puis, l’aiguille va pénétrer le lambeau palatin ou lingual de l’intérieur vers l’extérieur. Puis l’aiguille va revenir pénétrer le lambeau palatin (ou lingual). La position du fil en palatin n’est pas nécessairement profonde. Puis l’aiguille revient vers le lambeau vestibulaire et le pénètre de l’intérieur vers l’extérieur, horizontalement par rapport au fil précédent. Le nœud est serré de préférence à plat... Car il est plus stable et évite une auto ligature avec les monofils.
Fig. 2. Le matelassier apical : épaississement du lambeau
Conséquence : la suture apicale va permettre d’immobiliser le lambeau vestibulaire de manière profonde, créant ainsi une zone totalement dénuée de toute tension : cette absence de tension va être une garantie contre la réouverture précoce du lambeau , mais également créer un raccourcissement du lambeau vestibulaire avec comme conséquence, un épaississement de la gencive, surtout dans sa partie kératinisée
Fig. 3, 4 Matelassier apical. report de la tension au-delà des sutures ? Bourrelet gingival
Fig. 5 Matelassier apical, report de la tension au-delà des sutures. Noter le bourrelet gingival
Quel fil de suture utiliser ?
De nombreux travaux insistent sur la nécessité de laisser les fils de suture le plus longtemps possible.. au minimum 3 semaines afin d’obtenir un ré-attachement maximal du périoste.(2) (3)
Cette situation ne peut être envisagée qu’à condition d’utiliser un monofil (peu importe le type) afin d’éviter toute formation de plaque, à l’origine de phénomènes inflammatoires indésirables. Attention : l’utilisation d’un monofil nécessite de couper les chefs assez longs afin d’éviter toute rigidité du fil. (8mm au minimum) Cette rigidité peut entrainer des phénomènes d’irritation et d’ulcération désagréables pour le patient.
Lorsqu’on réalise un matelassier apical, la tension est reportée apicalement par rapport aux berges du lambeau mais entraîne également une pénétration du nœud dans la gencive libre au bout de quelques jours. La solution idéale réside dans l’utilisation d’un monofil résorbable à 4 semaines (Glycolon®) qui va permettre de ne pas procéder à l’ablation des fils de suture. Le contrôle post-opératoire devient un acte simple sans avoir à y inclure l’ablation des sutures.
Résultats
Le respect de la règle de mammoto va permettre une meilleure vascularisation du lambeau avec une cicatrisation accélérée. Les muqueuses sont plus épaisses, et la résorption osseuse que l’on constate habituellement après un lambeau est notoirement réduite ou tout simplement absente.
Fig. 6 Matelassier après implantation post-extractionnelle. Comblement PRF sans biomatériau. Croissance osseuse verticale et maintien du volume de la crête
Fig.7. Extractions. PRF. Matelassier apical. Maintien du volume osseux vestibulaire sans biomatériau
2. Faut-il abandonner l’incision du périoste pour refermer le lambeau sans tension ?
L’incision du périoste est un geste quasi obligatoire chaque fois que l’on veut refermer le lambeau sans tension , notamment lors des augmentations osseuses.
Le périoste : C’est une membrane conjonctive et fibreuse, blanchâtre, qui enveloppe l'os à l'exception des surfaces articulaires ; D’une épaisseur moyenne de deux millimètres (0.5mm en moyenne), il est en rapport, par sa surface externe, avec les muscles, tendons et vaisseaux. Par sa face interne ou profonde il est appliqué sur l’os auquel il adhère grâce à des fibres pénétrant obliquement dans le tissu osseux (fibres de Sharpey). Le périoste est essentiel puisqu'il assure la croissance des os et le bon fonctionnement du système vasculaire. En cas de fractures, le périoste aura aussi pour rôle de consolider puis de réparer l'os.
Le périoste est formé de deux couches
La couche externe : fibreuse, assure la nutrition de la couche corticale des os.
La couche interne : ostéoblastique (non fibreuse), apte à assurer l'insertion des tendons et ligaments sur l'os.
C’est une ossification de type endoconjonctive. Le périoste fait partie des ectoméninges avec la dure-mère, c'est-à-dire qu'il participe à la protection du système nerveux. Les artères qui vascularisent l'os sont dites « artères périostées».
Fig. 8 Chirurgie pré-prothétique. PRF. Matelassier apical. Noter l’épaisseur des muqueuses obtenues malgré l’importance du lambeau.
L’incision périostée : c’est un acte obligatoire lorsqu’on veut faire une augmentation osseuse. Cette incision permet le relâchement du lambeau afin de recouvrir la greffe osseuse sans tension.(4) Cette incision doit être de faible profondeur (0,5mm) pour être la moins agressive possible mais cet acte a trois inconvénients :
Détérioration de l’apport vasculaire du périoste par l’incision de nombreux vaisseaux
Ouverture sur les tissus mous avec pénétration possible des cellules des tissus mous dans les greffons osseux (contamination cellulaire)
Amoindrissement de l’épaisseur du lambeau
Fig. 9: histologie du périoste
Eviter l’incision : Le SOFT BRUSHING
C’est une technique « douce » qui consiste à brosser le périoste avec un instrument non coupant de l’intérieur vers l’extérieur.(apical vers coronaire). A l’origine, la technique a été conçue pour récupérer les cellules souches du périoste afin de additionner au greffon osseux. En même temps, il est apparu que le périoste se « relâchait » de manière non négligeable. Cette augmentation équivaut à une incision du périoste voire à une séparation des muscles profonds. C’est dire si le relâchement du périoste avec cette technique est important.
Fig. 10 Kit Soft Brushing Technique
Le résultat est tout à fait spectaculaire. L’allongement se fait sans difficulté mais avec une stimulation du périoste qui entraine un allongement mais aussi un épaississement du lambeau. Il est facile d’obtenir 1 à 2cm d’allongement du lambeau vestibulaire uniquement par le soft brushing. Sans aucune incision
Fig. 11 -12 . Soft brushing pendant une implantation maxillaire totale. Noter l’allongement du lambeau de 2cm sans avoir réalisé la moindre incision.
Les résultats sur la cicatrisation sont à la mesure de nos espérances :
- Epaississement du lambeau,
- Cicatrisation très accélérée
- Amélioration du biotype.
Fig 14-15 Cicatrisation des lambeaux à 7J. la maturation des tissus est très précoce avec un épaississement évident.
CONCLUSION
L’absence d’incision du périoste associée à une suture en matelassier apical permettra au praticien d’obtenir des cicatrisations plus naturelles, plus rapides et plus efficaces sur le maintien du volume gingival et osseux. Bien évidemment, les résultats à long terme nécessiteront d’autres investigations, mais il est d’ores et déjà certain que cela aura une incidence sur la qualité de la maturation finale des lambeaux.
Bibliographie
1. A. Mammoto, K M. Connor, T. Mammoto, C. Wing Yung, D. Huh,CM. Aderman, G Mostoslavsky, L E. H. Smith & D E. Ingber A mechanosensitive transcriptional mechanism that controls angiogenesis. NATURE Vol 457|26 February 2009
2. Boutros S. et al The temporal sequence of periosteal attachment after elevation. Plast Reconstr Surg. 2003 May;111(6):1942-7.
3. Sclafani AP, et al. Strength and histological characteristics of periosteal fixation to bone after elevation. Arch Facial Plast Surg. 2003 Jan-Feb;5(1):63-6.
4.Plonka AB, Sheridan RA, Wang HL. Flap Designs for Flap Advancement During Implant Therapy: A Systematic Review. Implant Dent. 2017 Feb;26(1):145-152.